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quelques points donnés. Ses produits étaient d’un usage trop immédiat, trop général, pour que chaque peuple ne s’efforçât point d’en avoir la création sous la main. On sait d’ailleurs qu’il n’y a guère de pays en Europe qui se refuse absolument à la production de la matière première, bien qu’il y ait à cet égard des inégalités fort grandes, soit pour l’abondance, soit pour la qualité. Ajoutons à cela que les procédés même de la fabrication résistaient à une concentration absolue. Ainsi la production des fils était partout l’ouvrage de fileuses isolées, répandues dans les campagnes, sans aucun rapport direct, ni entre elles, ni avec les établissemens manufacturiers, et le tissage lui-même s’exécutait à la main, soit dans les campagnes, soit dans les petites villes, où la main-d’œuvre était moins chère. Ce genre de fabrication était donc disséminé partout, et partout développé dans un rapport assez constant avec les besoins locaux.

Il est pourtant vrai que certains pays étaient plus favorisés que d’autres, en cela surtout qu’ils jouissaient de l’avantage de fournir des produits d’un ordre supérieur, ce qui leur permettait de chercher des débouchés et des consommateurs au loin. Tels étaient notamment la Belgique, dès long-temps renommée pour ses belles toiles, et quelques cantons du nord et de l’ouest de la France. D’autres semblaient, au contraire, plus spécialement déshérités, soit en ce sens qu’ils ne fournissaient que des produits inférieurs, soit encore en ce que la matière première ne suffisait même pas à leurs besoins. Chose remarquable ! l’Angleterre, où l’industrie du lin tend, depuis l’invention des machines, à se concentrer d’une manière exclusive, figurait autrefois parmi les pays de l’Europe les moins avantagés sous ce rapport. La matière première, d’une qualité d’ailleurs médiocre, n’y abondait pas ; et ce qui ne paraîtra pas moins digne d’attention, c’est qu’il en est encore de même aujourd’hui, en sorte que déjà les filateurs y sont obligés de tirer une grande partie de leur matière première de l’étranger. D’où vient cette infériorité de l’agriculture anglaise dans une branche de production si étendue et si riche, lorsqu’à tant d’autres égards elle l’emporte sur l’agriculture du continent ? De savans agronomes l’attribuent à la nature du sol anglais, peu propre, dit-on, à la production du lin et du chanvre, et nous n’avons aucun motif pour révoquer en doute leur assertion. Toutefois nous croyons qu’on trouverait une autre explication plus naturelle du même fait dans certaines circonstances du régime économique de ce pays. Dans un temps qui n’est pas encore fort éloigné de nous, l’Angleterre était couverte de pâturages communaux, qui nourrissaient d’innombrables troupeaux de moutons, et l’étendue du sol labourable en était diminuée d’autant. Plus récemment, les lois des céréales ont apporté un autre obstacle au développement de la culture du lin ; car, donnant aux différentes espèces de céréales une valeur factice, elles ont vraiment découragé, en les frappant d’un désavantage relatif, toutes les branches de l’industrie agricole qui ne jouissent pas de la même faveur. Quoi qu’il en soit, l’insuffisance de la matière première chez les Anglais, aussi bien que l’ancienne infériorité de leur industrie, sont des faits constans, d’où l’on peut assez raisonnablement conclure que