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date sans doute de la conquête des Normands). Dominé par de hauts rochers auxquels il est adossé, il est entouré d’épaisses forêts. C’est au fond de ce désert qu’existe le plus précieux dépôt de diplômes, de chroniques et de chartes italiennes. Quelle curieuse histoire des princes lombards et normands de Bénévent, de Salerne et de Capoue, et des républiques de Naples, de Sorrente et d’Amalfi, ne referait-on pas avec les documens entassés dans ces archives ! Le moyen-âge tout entier vit dans ces parchemins et ces liasses poudreuses ; mais la multiplicité des pièces, l’absence de catalogue et un esprit de cachotterie peu libéral, rendent les recherches, sinon impossibles, du moins extrêmement pénibles. Je dois ajouter que le moine qui nous faisait les honneurs de la bibliothèque de la Trinité paraissait peu capable d’apprécier les richesses qu’elle renfermait, et dont il se montrait néanmoins singulièrement jaloux. Notre homme n’avait de bénédictin que le nom, et l’on eût pu sans injustice l’accuser d’ignorance. On a dit d’un bibliothécaire incapable : C’est un eunuque à qui on a confié un sérail : ce mot se serait appliqué à merveille au bénédictin de la Trinité.

Les femmes de la Cava sont renommées pour leur beauté ; ce devrait être plutôt pour leur force. Elles rappellent, pour la stature, la Nuit, de Michel Ange, et pour la parfaite régularité des traits et l’embonpoint peut-être un peu trop prononcé, la Justice, de Giacomo della Porta[1]. Tandis que je dessinais la vue d’un couvent voisin de la Cava, plusieurs jeunes filles s’exerçaient à la lutte sur un tertre, à quelques pas de moi. Il y avait dans leurs mouvemens autant de souplesse que de force, mais peu de grace et encore moins de pudeur. L’une d’elles, de beaucoup la plus belle et en même temps la plus forte, eût couché un bœuf à terre d’un coup de poing.

Les femmes de la Cava sont, du reste, viriles de plus d’une façon. Il y a quelques années, il n’était bruit dans tout le pays que de la singulière histoire de la femme médecin. Cette femme, élevée par ses parens comme un homme, sans qu’on ait pu savoir pour quel motif, apprit le latin chez un vieil oncle, curé de Furore, dans le voisinage d’Amalfi, et suivit les cours de médecine de l’école de Salerne, où elle prit ses grades. Il est impossible qu’elle n’ait point eu alors de notions précises de son sexe, ses études anatomiques n’ayant pu manquer de l’éclairer. Néanmoins elle garda le silence et persista. Elle exerçait la médecine avec succès, quand un jour une jeune fille qu’elle avait soignée pendant une longue maladie devint amoureuse du joli docteur et lui déclara sa passion. Comme il repoussait ses avances, elle l’accusa, dans sa fureur, d’avoir tenté de lui faire violence. L’affaire était grave. Une servante que la jeune fille avait séduite déposait comme elle. Salvator, c’était le nom du docteur de la Cava, perdit patience, et, à ce qu’il paraît, prouva la calomnie en plein tribunal, et de façon à ne pouvoir laisser de doutes dans l’esprit de ses juges. Je n’ai pu savoir si depuis ce singulier médecin avait continué à exercer. Un vieux patron de barque de Vietri m’a assuré qu’il l’avait connu,

  1. Tombeau de Paul III à Saint-Pierre.