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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

Or, au nombre des merveilles dont la mécanique nous a rendus témoins, on peut justement compter les progrès accomplis dans l’industrie des tissus car, bien que des progrès de ce genre éblouissent moins les regards, parce qu’ils se consomment à l’ombre, avec moins d’éclat et de bruit, ils sont, autant que certains autres, dignes d’une admiration réfléchie, et leur influence est aussi grande sur les destinées humaines.

Mais ce n’est pas sur la fabrication du lin que la mécanique s’est exercée d’abord. Avant d’agiter et d’ébranler cet antique rameau de l’industrie européenne, elle s’était emparée de la fabrication du coton, production étrangère à nos climats, et c’est là qu’elle avait produit une de ces révolutions étonnantes qui marquent dans les fastes des nations. Comme cette révolution se lie par des rapports étroits à celle que l’industrie linière subit en ce moment, que l’une est fille de l’autre, et qu’il peut être utile de les comparer dans leurs résultats définitifs, on nous pardonnera de rappeler la première en peu de mots.

C’est dans l’Inde, dit un auteur français[1], qu’ont existé les premières fabriques de coton, et, malgré la grossièreté de leurs instrumens, grace à une rare perfection d’organes, à une patience à toute épreuve dans tous les genres de travaux qui n’exigent pas le déploiement d’une grande activité physique, les Hindous portèrent fort loin l’art de filer et de tisser le coton. » Dans le cours du Xe siècle, cette industrie fut introduite en Espagne par les Maures qui occupaient alors ce pays ; mais l’état de barbarie où le reste de l’Europe était plongé ne permit pas qu’elle se répandît immédiatement hors de la péninsule espagnole, et les recherches de M. Edward Baines n’ont pu lui faire découvrir aucune trace de la fabrication du coton dans d’autres parties de l’Europe, antérieurement au XIVe siècle. À partir de cette dernière époque, elle se répandit peu à peu en Italie, dans la Souabe et dans la Saxe, puis en Flandre, en Hollande et en Turquie ; mais, dans tous ces pays, elle ne s’éleva guère au-dessus de l’imperfection des procédés usités par les Hindous. Aussi l’Inde conserva-t-elle long-temps le privilége de pourvoir à la plus grande partie de la consommation de l’Europe. Il était réservé à l’Angleterre de l’en déposséder par une suite non interrompue de merveilleuses inventions. « En 1733, continue M. Simon, dans un petit village près de Lichtfield, un ouvrier obscur, John Wyatt, obtient par des moyens mécaniques le premier écheveau de fil de coton qui ne soit pas dû aux doigts d’une fileuse. Quinze ans plus tard, Lewis Paul, son associé, crée une première ébauche de la carde cylindrique ; puis cette double découverte demeure en quelque sorte oubliée, jusqu’à ce qu’un simple perruquier, homme d’un caractère ardent et industrieux, Richard Arckwright, s’en empare, la perfectionne, et dote enfin son pays du banc[2] à broche, de la carde sans fin, invention qu’il complétait plus tard par celle du drawing et du roving frame, pour l’étirage et le tordage du

  1. Recueil d’Observations sur l’Angleterre, par M. G. Simon.
  2. Richard Arckwright est l’inventeur du métier continu, appelé water frame, mais non du banc à broche, qui n’a été inventé que trente ans plus tard.