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que puisse paraître ce procédé d’un général en chef, aux yeux de bien des gens, il est certain que lord Wellington en avait tiré une grande force, et qu’il était ainsi parvenu à créer une sorte de tribunal de l’opinion publique où l’on craignait d’être cité. Mais il faut voir avec quelle mesure il se sert de ce moyen, et comme il en use consciencieusement. La lettre suivante, écrite de Lesaca quelques jours après celle qu’on vient de lire, en est un exemple curieux. Elle s’adresse au ministre de la guerre, à Cadix :

« Monsieur, — dans la dépêche que j’ai adressée à votre excellence, de Ostiz, le 3 juillet, je vous ai dit que le général Clausel avait passé l’Èbre à Tudela, le 27 juin, « pero informado por el alcade, de hallarse nuestras tropas en el camino, inmediatamente lo repaso, y se dirigio â Zaragosa. » Connaissant le degré de calomnie qui agit dans les guerres de révolution, je n’aurais pas écrit ce qui est là-dessus, si je n’avais été sûr que je pouvais me fier aux informations que j’avais reçues, lesquelles furent à peu près comme elles paraissent dans les papiers inclus ; mais ces papiers prouvent de la manière la plus claire que j’ai été trompé, que le rapport qui m’a été fait était fondé sur une calomnie, et que la personne qui l’a dite en a été convaincue, et a confessé la fausseté de ses allégations. Dans ces circonstances, je ne peux pas rendre justice à la réputation de l’alcade de Tudela trop tôt, ni d’une manière trop publique, et je prie votre excellence de demander permission à la régence de faire insérer dans la gazette cette lettre et les papiers inclus. »

Les traits de caractère, sinon de génie, et d’un caractère toujours élevé, abondent dans les dépêches de lord Wellington. À mesure qu’on avance dans cette lecture, sa physionomie se complète. Ici il se plaint de la prodigalité d’hommes qui distingue tous ses adversaires, les généraux de l’armée française, et il se montre lui-même aussi économe de ses munitions que du sang de ses soldats, en disant qu’une certaine bataille, qu’il ne nomme pas parce qu’un officier anglais qu’il faudrait nommer aussi s’y est montré négligent, est la seule où les troupes sous son commandement ont brûlé inutilement de la poudre. Ailleurs il explique longuement par quelles filières successives et sous quel contrôle a lieu le dénombrement des morts, des blessés anglais sur les champs de bataille, ainsi que celui des prisonniers et du butin faits sur l’ennemi, et il démontre qu’il est impossible, même au général en chef, d’altérer ces rapports, tant lord Wellington craint d’être taxé d’exagération. Plus loin, ce sont toutes sortes de lettres et de billets, en différentes langues, jusqu’en langue