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mérité aboutissant à des résultats mesquins jusqu’au ridicule, des colères d’écoliers et des susceptibilités de femmes recouvrant un fonds permanent de cupidité ou de jalousie, toutes les situations faussées, tous les hommes politiques brouillés sans qu’il y ait entre eux l’épaisseur de la plus mince idée ; voilà le triste tableau tracé par vous de cette France que vous saluâtes long-temps, sinon comme le berceau, du moins comme l’école pratique de la liberté constitutionnelle en Europe.

Vous éprouvez le besoin d’être rassuré, monsieur, et vous voulez bien m’exprimer le désir de connaître mon opinion sur la crise que traverse en ce moment en France le gouvernement représentatif. Libre d’engagemens au sein du parlement comme dans la presse, n’ayant ni l’espérance ni la volonté de profiter de ces victoires éphémères que quelques hommes remportent les uns sur les autres sans résultat pour le pays et presque sans bénéfice pour eux-mêmes, vous pensez que je suis en mesure d’apprécier avec quelque justesse une position qu’il est assurément bien facile de contempler avec le plus parfait dégagement d’esprit.

Je l’essaierai, monsieur, certain à l’avance de toute la liberté de mon jugement, que ne viendra troubler ni la mémoire d’aucun bienfait, ni celle d’aucune injure. Je m’efforcerai de saisir les idées sous les hommes, là du moins où les hommes représentent encore quelque chose, et de remonter au principe d’un mal dont je confesse toute la gravité, mais que pourtant je ne crois pas, comme vous, incurable. Loin de Paris par la distance, plus loin encore par le repos qui m’environne, la tête à l’ombre des grands chênes, les pieds humides de l’écume de nos grèves bretonnes, n’entendant d’ici que le bruit des vagues, harmonieux accompagnement de la pensée, je vous communiquerai mes impressions sur le présent, quelquefois mes rêves sur l’avenir ; heureux de continuer le commerce que vous me permîtes de commencer dans le Lobby de la chambre des communes, alors qu’assis à vos côtés j’étudiais dans leur vérité sévère ces nobles formes politiques dont vous prétendez ne plus trouver chez nous qu’une sorte de parodie.

Un tel emploi de mes loisirs me sera doux, puisque vous m’y conviez : je ne le crois pas, d’ailleurs, inutile. Il est bon de faire une pause après tant de chemin parcouru, de s’orienter un peu au sein de cette brume épaisse, et de se demander jusqu’à quel point l’exemple et la théorie du passé peuvent servir de boussole et de règle pour la suite de notre carrière. Je vous donnerai ma pensée toute