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LES MARBRES D’ÉGINE.

ses yeux cet essor particulier. Pourquoi ne rien accorder à l’influence des premières colonisations ? Pourquoi ne pas faire mention de la tradition poétique qui concerne les anciens Myrmidons ? Selon elle, Jupiter, à la demande d’Éaque, avait changé les fourmis en hommes pour repeupler l’île désolée par la peste. Ailleurs on trouve que ces durs habitans avaient creusé leur sol ingrat, en avaient retiré la terre, l’avaient jetée sur les pierres qui la recouvraient, et s’étaient logés dans les cavernes doublement utilisées par leur industrie. N’est-ce pas encore à cette circonstance qu’il faut rapporter la tortue qu’on voit sur le plus grand nombre des monnaies éginètes, que M. Mueller n’a point expliquée, et qui pourrait n’être qu’une image de cette vie souterraine et opiniâtre des premiers temps ?

La mer ne fut pas pour Égine une moindre source de prospérité que la terre. Tandis que les autres Grecs n’ont encore que des vaisseaux ronds, les Éginètes possèdent déjà des galères longues, dont les rames sont plus longues aussi, et dont la proue et la poupe sont bien travaillées. Les récifs qui bordent leur île protègent leurs trésors contre les pirates, qui semblent le produit nécessaire de tous ces golfes et de toutes ces plages ; eux seuls savent filer avec habileté parmi leurs écueils ; ainsi cette forteresse sûre, habitée par une race laborieuse, devient bientôt un marché ouvert à tous les étrangers de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe.

Enflés par leurs rapides accroissemens et par le sentiment de leur force, les Éginètes rompent avec Épidaure, la saccagent, et emportent dans leur île les dieux de leur métropole. Cependant ils restent fidèles au génie dorien ; ils gardent les alliances de Lacédémone et de Thèbes, toutes deux achéennes et doriennes tour à tour comme eux ; les premiers peut-être, ils engagent avec la race ionienne de l’Attique cette lutte qui résume toute l’histoire politique de la Grèce. Les Ioniens avaient paru sur le littoral grec bien avant que les Doriens n’y missent le pied, ils avaient partagé avec les Achéens les dépouilles pélasgiques ; ils subirent comme eux l’invasion des Doriens. Fixés dans le Péloponèse avant la venue de ceux-ci, ils en furent chassés par eux ; la plupart émigrèrent vers l’Asie mineure, vers la grande Grèce, dans l’archipel de l’une et de l’autre des deux mers helléniques ; quelques-uns s’arrêtèrent dans l’Attique où leur race avait déjà des établissemens. Sortis de la source commune des Grecs, ils n’étaient probablement comme les Doriens qu’une tribu particulière des Hellènes primitifs de la Thessalie, et rien ne les séparait originairement de ces autres peuples. Cependant il faut qu’ils aient eu un