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LES MARBRES D’ÉGINE.

neur d’avoir cultivé spécialement la sculpture sur bois ; et c’est de cette sorte de travail que naquit la toreutique, art essentiellement grec, qui consistait à ciseler des matières précieuses, telles que l’or et l’ivoire, primitivement employées comme ornemens accessoires des statues de bois, et destinées à remplacer ensuite le bois lui-même. Personne n’ignore que le Jupiter olympien de Phidias et la Junon de Polyclète furent les chefs-d’œuvre de ce genre. Dans cet inventaire des origines de l’art hellénique, Athènes n’a rien à revendiquer, et Égine occupe au contraire une place notable.

M. Mueller, d’après les habitudes de l’archéologie allemande, suppose que le nom de Smilis est collectif, et qu’il désigne, non pas un artiste, mais une époque tout entière de l’art ; il fait remonter cette époque avant l’invasion des Doriens, c’est-à-dire à l’établissement des colonies achéennes et helléniques ; il en tire cette conséquence que l’art éginétique était originairement achéen, et il prend soin de le montrer exempt des influences de l’art de l’Égypte et de celui de la Phénicie. Les statues de bois, ou Ξοανα, comme les Grecs le disaient dans un seul mot, furent donc la première expression de l’art purement hellénique ; il me semble important d’ajouter cette observation à celle de M. Otf. Mueller, pour faire entrevoir dès ce moment les rapports que je me propose d’établir entre la sculpture et l’architecture. Le bois est, comme on sait, la première donnée de toutes les constructions grecques ; et voilà que nous le retrouvons aussi aux débuts de la statuaire. M. Otf. Mueller n’a pas, non plus, fait remarquer que la matière employée par les sculpteurs Smilidiens avait imprimé un caractère particulier aux traditions transmises par eux à leurs successeurs ; il a tout mis sur le compte de la religion et du génie local de ces artistes. Cependant il est bien évident qu’une école façonnée au travail du bois ne saurait avoir les mêmes règles que les écoles habituées à opérer sur le grain plus dur des métaux et des minéraux.

Avant la découverte des statues qui sont conservées à la Glyptothèque, on savait positivement qu’il y avait dans l’art grec un style particulier appelé éginétique. Pline l’ancien qui, dans son admirable encyclopédie, a laissé les documens les plus suivis et les plus complets que nous ayons sur la statuaire antique, n’a, il est vrai, transmis aucun renseignement sur ce sujet. Il cite des sculpteurs que nous savons nés à Égine ; mais ce n’est pas lui qui nous apprend qu’ils en sont sortis. Winckelmann s’est trompé lorsqu’il a traduit le fameux passage fratrem Æginetœ fictoris, par les mots : frère d’un artiste égi-