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des antiquaires de Munich. Homère nous peint Teucer combattant derrière le bouclier de son frère Ajax. Pourquoi donc les sculpteurs auraient-ils placé Pâris derrière celui-ci, et Teucer derrière Hector ? Serait-ce pour mieux exprimer le pêle-mêle de la bataille qui a précipité Hector parmi les Grecs, Ajax parmi les Troyens ?

Teucer et Pâris sont appuyés des deux côtés par deux autres guerriers plus inclinés qu’eux et qui, aussi à genoux, mais pliant l’épaule, au lieu de la renverser en arrière pour tirer la flèche, secondent leur attaque la lance à la main. C’est une rame que M. Mueller aurait voulu qu’on leur donnât, pour rappeler la victoire navale de Salamine ; mais, outre qu’on accorderait peut-être difficilement leur casque avec cette rame, semble-t-il bien naturel de mêler ainsi dans un fronton des rameurs et des archers ? À Munich, on a donné le nom d’Ajax, fils d’Oïlée, au guerrier qui accompagne Teucer, celui d’Énée au guerrier qui suit Pâris. Viennent enfin, aux deux angles extrêmes du fronton, deux guerriers renversés en arrière ; blessés mortellement, ils sont tombés, mais ils ne cessent pas de sourire ; leurs casques s’échappant de leur tête, dans la chute, ont laissé leur chevelure bouclée se déployer en larges nattes jusque sur le milieu de leurs épaules ; ces deux figures, dont la maigreur a quelque chose de plus doux et de plus féminin que celle des autres personnages, n’ont pas reçu de nom particulier. Celle qui est à l’angle gauche est simplement désignée comme un héros blessé ; celle qui est à l’angle opposé, comme un Troyen expirant. Quoique ces deux statues puissent avoir, auprès de certains esprits, le tort d’être profondément marquées d’une manière particulière, elles sont entre les plus admirables morceaux qu’on puisse voir ; elles réunissent la grace à l’austérité, l’harmonie au mouvement ; elles sont le type de cette beauté qui résulte d’une grande quantité de nombres différens ramenés à l’unité par un rapport simple et mystérieux.

Du fronton antérieur ou occidental, il ne reste que quatre figures ; elles sont légèrement plus fortes que celles que je viens de décrire ; elles sont néanmoins encore inférieures à la taille ordinaire de l’homme. C’est à l’inclinaison extrême des frontons doriens, dont l’angle est plus obtus que celui des autres ordres d’architecture, qu’il faut surtout attribuer cette proportion des statues. Les conjectures faites pour désigner ces quatre figures me paraissent excessivement arbitraires ; qu’elles représentent la victoire de Télamon sur Laomédon, c’est ce qu’il n’est ni facile ni, heureusement, important de prouver. Un guerrier nu, debout, portait le casque, le bouclier et