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usage. Ceux-ci ne le lui accordèrent qu’à la condition qu’elle leur enverrait chaque année des victimes. Lorsque Épidaure eut été dépouillée par Égine de ses divinités, elle cessa de payer le tribut annuel de ses offrandes. Athènes réclama ; Épidaure invoqua la force majeure, et Athènes résolut de reprendre sur les Éginètes les deux statues, qu’elle regardait désormais comme son bien. Elle arma donc une petite flotte, qui arriva de nuit sous les rochers d’Égine. La troupe qui descendit des vaisseaux athéniens arriva sans encombre jusqu’au temple où les deux statues avaient été placées ; lorsqu’elle voulut les arracher de leur base, elle éprouva une résistance insurmontable ; elle les attacha avec des câbles et essaya de les renverser. Mais le ciel se mit à lancer la foudre ; au milieu des éclairs, les deux statues tombèrent à genoux, comme pour supplier leurs ravisseurs. Ces prodiges anéantirent les sacriléges. Un seul homme survécut, monta dans une barque et regagna Athènes ; lorsqu’il arriva au port de Phalère, il y trouva rassemblée une foule de femmes qui lui demandèrent compte de leurs maris ; comme il ne pouvait les leur rendre, elles le tuèrent avec les agrafes de leurs robes. Cela fut cause, ajoute Hérodote, que, depuis ce temps, le vêtement dorien, qui s’attachait sur l’épaule et au côté par des agrafes, fut remplacé, d’après un ordre supérieur, par le costume ionien, dont les manches rendaient les agrafes inutiles.

La diversité et la brièveté des textes qui parlent de ces deux divinités sont cause que M. Mueller n’a pu soulever qu’à demi le voile dont elles sont cachées. Hérodote a écrit leur histoire, selon son habitude, sans chercher à l’approfondir. L’idée qui peut lier le changement du costume des femmes athéniennes au culte des déesses d’Épidaure et d’Égine, semble lui avoir complètement échappé. Faut-il ne voir dans Damia et dans Auxhesia que deux vierges de Crète dont les Trézéniens durent expier le meurtre ? Tout porte, au contraire, à faire croire que c’étaient deux divinités propres au Péloponèse, et qui correspondaient à la Cérès et à la Proserpine de l’Attique, de telle sorte que la rivalité du génie dorien et du génie ionien se poursuivait même parmi les dieux. Quant à l’hypothèse des savans qui donnent les noms de Damia et Auxhesia aux deux statues trouvées parmi les débris du Panhellénion, on voit que la narration d’Hérodote ne la contredit point. Il faut seulement admettre que ces statuettes ne sont que des réductions des deux images dont nous venons de raconter la légende.

Pouvons-nous maintenant préciser la date de tous ces beaux morceaux ? M. Schelling nous paraît avoir émis une opinion inadmissible,