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LES MARBRES D’ÉGINE.

l’influence des colonies phéniciennes et égyptiennes, qui éclairèrent la première barbarie grecque, en lui communiquant leurs dieux et leur commerce. Mais les Doriens, qui avaient conservé au fond de la Thessalie la rudesse des Grecs primitifs, rendirent le Péloponèse égal à l’Étrurie, en y étouffant les germes étrangers. Ainsi la nature dorienne, non plus que la nature étrusque, ne fut autre chose que la nature grecque elle-même dans son originalité sans mélange et dans sa substance essentielle. Cette démonstration nous conduit à un résultat qui n’est pas dénué de grandeur ; elle nous permet de ramener tous les arts grecs à une seule loi.

Déjà l’architecture avait constaté que le dorique était non-seulement le plus ancien de tous les ordres, mais encore le fondement des ordres subséquens, et que son principe était l’imitation des constructions en bois sous lesquelles les Grecs avaient, dans les commencemens, cherché leurs demeures. Quant à l’ordre toscan, tout le monde convient qu’il n’est pas, comme les autres, un ajustement postérieur de l’ordre dorique, mais le développement parallèle de la même donnée. Quoique la plus grande obscurité règne sur la musique grecque, nous savons que le mode dorien, le plus grave de tous, fut le premier consacré. Les modes suivans, avant de recevoir le nom des Ioniens, portaient ceux de phrygien et de lydien, ce qui prouverait qu’ils étaient originairement étrangers à la musique hellénique. Nous pouvons aujourd’hui ranger la sculpture dans la même formule. C’est aux Doriens que revient l’honneur d’avoir mis la Grèce en possession d’une statuaire qui lui soit propre ; partout où ils s’arrêtèrent, ils imposèrent à cet art des principes et des types analogues ; trois îles où leur génie prit un développement précoce, Égine, Rhodes et la Sicile, deux villes de la terre-ferme que leur séjour féconda, Sicyone et Corinthe, devinrent les ateliers principaux de cette sculpture, marquée de leur sceau, et que l’antiquité connut sous le nom d’éginétique ; mais l’Étrurie, qui conserva, comme eux, le primitif esprit grec exempt de l’influence orientale, produisit un art qui se confond avec le leur.

Nous ne voudrions cependant pas faire croire, comme M. Mueller l’a pensé, que l’Orient n’a absolument laissé aucune trace dans l’art éginétique. Les colonies de l’Égypte, de la Phénicie, de la Phrygie, n’auront pas vainement passé sur le sol de la Grèce, et j’imagine volontiers que c’est aux traditions qui remontent à cette source qu’il faut attribuer les têtes des statues du Panhellénion ; sans elles je m’expliquerais difficilement non-seulement la persévérance des ar-