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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/870

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forte ; ceux qui, pour la première fois, contempleront cette poétique figure, la verront dans tout son jour et dans toute la majestueuse douleur de sa physionomie. Les amateurs de curiosités littéraires, enfin, y trouveront une ample matière à commentaires et à comparaisons.
Rien ne saurait mieux marquer la différence des deux époques où l’auteur a créé, puis remanié son œuvre, que ces lignes de Lélia se préparant à raconter à Sténio l’histoire de Trenmor :

Si vous vous enfoncez dans les campagnes désertes au lever du soleil, les premiers objets de votre admiration sont les plantes qui s’entr’ouvrent au rayon matinal. Vous choisissez parmi les plus belles fleurs celles que le vent d’orage n’a pas flétries, celles que l’insecte n’a pas rongées, et vous jetez loin de vous la rose que la cantharide a infectée la veille, pour respirer celle qui s’est épanouie dans sa virginité au vent parfumé de la nuit. Mais vous ne pouvez vivre de parfums et de contemplation. Le soleil monte dans le ciel. La journée s’avance ; vos pas vous ont égaré loin des villes. La soif et la faim se font sentir. Alors vous cherchez les plus beaux fruits, et, oubliant les fleurs déjà flétries désormais inutiles sur le premier gazon venu, vous choisissez sur les arbres la pêche que le soleil a rougie, la grenade dont la gelée d’hiver a fendu l’âpre écorce, la figue dont une pluie bienfaisante a déchiré la robe satinée. Et souvent le fruit que l’insecte a piqué, ou que le bec de l’oiseau a entamé, est le plus vermeil et le plus savoureux. L’amande encore laiteuse, l’olive encore amère, la fraise encore verte, ne vous attirent pas.

Au matin de ma vie, je vous eusse préféré à tout. Alors tout était rêverie, symbole, espoir, aspiration poétique. Les années de soleil et de fièvre ont passé sur ma tête, et il me faut des alimens robustes ; il faut à ma douleur, à ma fatigue, à mon découragement, non le spectacle de la beauté, mais le secours de la force, non le charme de la grace, mais le bienfait de la sagesse. L’amour eût pu remplir autrefois mon ame toute entière ; aujourd’hui, il me faut surtout l’amitié, une amitié chaste et sainte, une amitié solide, inébranlable.

Les principaux personnages du drame qui, suivant l’intention du poète, ne sont ni complètement réels, ni complètement allégoriques, sont présentés sous un aspect plus élevé et plus philosophique. Ainsi, Trenmor n’est plus l’homme qu’une escroquerie au jeu a conduit au déshonneur ; des passions plus violentes et des torts moins vils l’y ont précipité. La figure fière et souffrante de Lélia a été particulièrement retouchée avec bonheur. Ses pensées sont à la fois plus hautes et plus claires. L’auteur s’est attaché à en faire la personnification du spiritualisme de ce temps-ci. La pensée fondamentale, l’inspiration des grands esprits de l’époque et celle de Lélia, c’est l’infini et sa