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LÉLIA.

dont elle faisait entretenir une partie pour servir d’asile pénitentiaire à ses coupables. C’était un lieu froid et humide, où de grands sapins, toujours baignés par les nuages, bornaient l’horizon de toutes parts. C’est là que l’année suivante Trenmor trouva Lélia mourante, et l’engagea de tout son pouvoir à rompre son vœu et à fuir avec lui sous un autre ciel. Mais Lélia fut inébranlable dans sa résolution.

« Que m’importe, quant à moi, lui dit-elle, de mourir ici ou ailleurs, et de vivre quelques semaines de plus ou de moins ? N’ai-je pas assez souffert, et le ciel ne m’a-t-il pas concédé enfin le droit d’entrer dans le repos ? D’ailleurs, je dois rester ici pour confondre la haine de mes ennemis, et pour donner un démenti à leurs prédictions. Ils ont espéré que je me soustrairais au martyre, ils seront déçus de leur attente. Il n’est pas inutile que le monde aperçoive quelque différence entre eux et moi. Les idées auxquelles je me suis vouée exigent de ma part une conduite exemplaire, pure de toute faiblesse, exempte de tout reproche. Croyez bien qu’au point où j’en suis, une telle force me coûte peu. »

Trenmor la vit s’éteindre rapidement, toujours belle et toujours calme. Elle eut cependant, vers sa dernière heure, quelques instans de trouble et de désespoir. L’idée de voir l’ancien monde finir sans faire surgir un monde nouveau lui était amère et insupportable.

« Eh quoi ! disait-elle, tout ce qui est, est-il donc comme moi frappé à mort et destiné à périr sans laisser de descendance pour recueillir son héritage ? J’ai cru, pendant quelques années, qu’à la faveur d’un entier renoncement à toute satisfaction personnelle, j’arriverais à vivre par la charité et à me réjouir dans l’avenir de la race humaine. Mais comment puis-je aimer une race aveugle, stupide et méchante ? Que puis-je espérer d’une génération sans conscience, sans foi, sans intelligence et sans cœur ? »

Trenmor s’efforçait en vain de lui faire comprendre qu’elle s’était abusée en cherchant l’avenir dans le passé. « Il ne pouvait être là, disait-il, qu’un germe mystérieux dont l’éclosion serait longue, parce qu’il lui fallait pour s’ouvrir à la vie que le vieux tronc fût abattu et desséché. Tant qu’il y aura un catholicisme et une église catholique, lui disait-il, il n’y aura ni foi, ni culte, ni progrès chez les hommes. Il faut que cette ruine s’écroule et qu’on en balaie les débris pour que le sol puisse produire des fruits là où il n’y a maintenant que des pierres. Votre grande ame, celle d’Annibal et de plusieurs autres, se sont rattachées au dernier lambeau de la foi, sans songer qu’il valait mieux arracher ce lambeau, puisqu’il ne servait qu’à voiler encore la