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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/98

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REVUE DES DEUX MONDES.

Dès à présent les machines sur lesquelles l’industrie du lin s’appuie, sont tout aussi puissantes que celles dont fait usage l’industrie du coton, et elles se perfectionnent encore. À cet égard, il y a tout au moins égalité de forces ; mais, à vrai dire, cela ne suffit pas. Quoi qu’on fasse, la manufacture est toujours plus ou moins liée au sort de l’industrie agricole qui lui fournit son aliment, et, pour que son élévation se soutienne, il faut que celle-ci la suive dans sa marche, en répondant toujours à ses besoins. Que devenait, par exemple, la manufacture anglaise du coton, si la matière première eût fait défaut ? Or, ce résultat était inévitable, si la production, renfermée dans ses anciennes limites, n’eût pas trouvé tout à coup, dans un monde nouveau, une assistance inespérée. Certes, ce n’est pas l’Inde qui eût jamais suffi à l’avidité croissante des machines anglaises ; car, outre qu’elle consommait elle-même une bonne partie de sa matière première, ses cultivateurs indolens étaient bien éloignés de pouvoir suivre, d’un pas égal, les progrès inouis de la fabrication. Pour que ces machines, toutes merveilleuses qu’elles étaient, ne fussent pas arrêtées au beau milieu de leur œuvre, il a fallu qu’il se rencontrât, dans un autre hémisphère et dans un pays neuf, un peuple jeune, énergique, ardent, assez actif pour semer et récolter aussi vite que les machines dévoraient les récoltes : c’était un prodige d’une autre sorte, sur lequel il n’était guère permis de compter. Si, à l’époque où les machines commençaient à fonctionner en Angleterre, il eût été donné de prévoir à quel degré de puissance elles arriveraient un jour, et qu’on se fût demandé d’où leur viendrait cette incroyable quantité de matière première à mettre en œuvre, quel homme au monde eût su répondre à cette question ? C’est qu’en effet, de quelque côté que l’on tournât alors ses regards, il était impossible de découvrir, dans aucune partie du monde habitable, ni une terre assez riche, ni un peuple assez fort pour répondre à de pareils besoins. Mais, dans le même temps, l’Amérique du Nord ouvrait à l’homme les inépuisables trésors de ses terres vierges, et là naissait et croissait, avec cette rapidité phénoménale que l’on connaît, un peuple dont toute l’existence est un prodige, et que la tâche proposée n’effraya point. Ce peuple des États-Unis intervint donc, lui, sur qui l’on était bien loin de compter, et le problème fut résolu.

La culture du coton, aux États-Unis, ne date que d’un peu plus d’un demi-siècle ; jusque-là, on avait même douté que le sol et le climat pussent s’y prêter. Quand, en 1781, les premières balles de coton de provenance américaine furent expédiées, au nombre de huit, à Liverpool, les employés de la douane anglaise refusèrent d’admettre, comme entaché de faux, le certificat constatant leur origine. Qui aurait pu croire que de ce même lieu, alors suspect, sortirait, sitôt après, cette masse de produits qui devait inonder l’Europe ? Mais cette culture naissante marcha à pas de géans, comme le peuple même qui venait de l’entreprendre. Aujourd’hui, la production totale des États-Unis en coton peut s’estimer, d’après des évaluations récentes, à près de trois cents millions de kilogrammes, et forme plus du triple de la production totale du reste du globe. Plus des deux tiers de cette quantité sont expédiés sur