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Aussi qu’arrive-il ? Chaque ministre s’enferme dans son département, et ses regards ne dépassent pas cet horizon. S’il a l’ambition et l’amour-propre d’un travailleur, il cherchera comment il pourrait se signaler et se tourmentera pour innover. L’ordonnance du 20 septembre sur le conseil d’état ne témoigne-t-elle pas de cette préoccupation ? N’y a-t-il pas dans cette mesure plus de faste que d’à-propos et d’utilité ? Était-il bien nécessaire d’ébranler ainsi l’ordre administratif, et d’éveiller par un coup imprévu toutes les craintes et toutes les ambitions ? Il y avait peut-être quelque limite à apporter à l’influence des conseillers d’état en service extraordinaire sur les délibérations du conseil ; mais ne pouvait-on obtenir ce résultat par quelques dispositions réglementaires, par un roulement périodique qui n’aurait admis aux délibérations qu’une portion déterminée de ce service ? Le défaut de l’ordonnance, et surtout du rapport qui la précède, est de ne pas rendre assez justice à l’idée et à l’institution du service extraordinaire, qui a pour but à la fois d’assurer à l’état le concours d’hommes consommés dans les affaires et de recruter des aptitudes nouvelles. C’est une initiation gratuite par laquelle le gouvernement éprouve et forme des talens qui doivent trouver plus tard leur application et leur emploi. On a pu quelquefois abuser de l’institution ; son esprit n’en est pas moins libéral. Par la même ordonnance, les auditeurs sont divisés en deux classes, dont la première ne peut en comprendre plus de quarante. Tout auditeur qui, après six ans, n’aura pas été placé dans le service public, cessera de faire partie du conseil d’état. Enfin l’ordonnance rétablit le comité de législation et reconstitue le comité du contentieux. On ne peut douter qu’elle n’ait été rédigée dans les meilleures intentions, et dans le désir de rehausser encore l’importance du conseil d’état ; mais on n’a pas assez réfléchi aux inconvéniens que présente la répétition fréquente de ces reconstitutions systématiques qui ébranlent plutôt les institutions qu’elles ne les améliorent, qui semblent mettre en question les droits acquis, et troublent même la sécurité de l’avenir, car le présent qu’on fonde ainsi ne semble pas plus assuré que le passé qu’on efface. C’est à la vue de ces improvisations continuelles dans l’ordre législatif et administratif, que l’Europe se met à penser que nous ne pouvons rien fonder ni conserver, d’autant plus que nos manies de réforme sont déclamatoires et bavardes, et qu’ainsi notre régime de discussion et de publicité, où nous puiserions de la force, si nous savions en user avec sagesse et modération, devient, par l’abus que nous en faisons, une cause incessante d’affaiblissement.

C’est ainsi que nous voyons encore beaucoup d’intérêts effrayés par la publicité donnée à l’existence d’une commission chargée d’examiner toutes les questions relatives à la création et à la transmission des offices. D’abord, il n’y avait pas lieu à nommer une commission ; les ministres s’instruisent mieux en consultant particulièrement les hommes compétens qu’en les mettant en présence, car souvent ils les annulent en les réunissant. Mais il fallait surtout se garder d’attirer avant le temps sur ces points délicats l’attention publique, et de jeter ainsi l’alarme dans les esprits et dans les intérêts. Les journaux se sont mis à déclamer contre la vénalité des charges, on s’est pris à faire des