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lui-même ? Oui, messieurs, n’allons pas plus loin ; le Dieu-Esprit, voilà l’éternel modèle qui, sous une forme ou sous une autre, pose éternellement devant la pensée de tout artiste qui mérite ce nom. Ce qui revient à dire que l’art a pour but de représenter par des formes la beauté infinie, de saisir l’immuable dans l’éphémère, d’embrasser l’éternité dans le temps, de peindre l’invisible par le visible. Arrêtons-nous à cette idée, et voyez combien de conséquences en jaillissent comme d’un foyer ardent.

Premièrement, pour exister, l’art n’a pas besoin de l’homme. Avant l’apparition du genre humain sur la terre, l’univers était un grand ouvrage d’art qui publiait la gloire de son auteur. La beauté avait été réalisée et comme incarnée dans la nature naissante. Non, non, ne croyez pas que les premiers poèmes aient été ceux d’Homère ou de Moïse ; ne croyez pas davantage que les premières sculptures aient été faites par une main mortelle. Le plus ancien constructeur de temple est celui qui a bâti le monde. De même, voulez-vous savoir quels ont été le premier poème et la première peinture ? Il est facile de le dire. Ce furent le premier lever du soleil au sortir du chaos, le premier murmure de la mer en s’informant de ses rivages, le premier frémissement des forêts au toucher de la lumière immaculée ; ce fut aussi l’écho de la parole encore vibrante de la création. Voilà la première poésie, le premier tableau dans lesquels a été peint l’Éternel. Nul peuple n’était encore dans le monde, l’idée d’art était déjà complète. L’ouvrage et l’ouvrier étaient en présence l’un de l’autre ; et si ces sortes de rapprochemens n’étaient trop souvent arbitraires, on pourrait même ajouter qu’il existait déjà une sorte d’image anticipée de la division des arts ; que, dans ce sens, les chaînes des montagnes étaient l’architecture de la nature, les sommets et les pics sculptés par la foudre sa statuaire ; les ombres et la lumière, le jour et la nuit, sa peinture ; le bruit de la création entière, son harmonie, et l’ensemble de tout cela, sa poésie.

De ce qui précède, il résulte que ni la nature ni l’art ne sont copiés l’un sur l’autre, puisque l’un et l’autre dérivent d’un même original, qui est Dieu. Quel que soit l’objet qu’il veuille représenter, l’art le crée, pour ainsi dire, une seconde fois. Ni l’architecture, ni la sculpture, ni la peinture, ne copient servilement une partie du monde extérieur. Ils ne reproduisent pas davantage l’image d’un homme en particulier. Quel est donc le modèle de leur imitation ? Je l’ai déjà dit, le beau en soi, le vrai par excellence. Continuons, si l’on veut, de les appeler arts d’imitation, mais ajoutons qu’ils imitent