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DU GÉNIE DE L’ART.

l’Éternel. Par où l’on voit qu’il faut ranger les artistes en deux familles distinctes : les uns, faits pour l’esclavage, qui copient les formes de l’univers, sans y rien ajouter, sans y rien retrancher ; les autres (ils sont libres et souverains), qui imitent non pas seulement le visage et le corps de la nature, mais ses procédés de formation et son intelligence, pour mieux rivaliser avec elle. On demandait à Raphaël où il trouvait le modèle de ses vierges : « Dans une certaine idée, » répondait-il ; et cette idée était le divin qu’il entrevoyait à travers les traits mortels des femmes de Perouge et de Foligno.

De ce principe conclurons-nous que l’art se confond avec la philosophie ? Nullement. Celle-ci peut oublier les formes des objets pour ne s’occuper que des idées. L’artiste, au contraire, a deux mondes à régir, le réel et l’idéal ; il ne peut ni les détruire l’un par l’autre, ni les résoudre l’un dans l’autre. Il faut qu’il les laisse également subsister, et qu’il fasse sortir l’harmonie de leurs apparentes contradictions. Voilà le miracle qu’il doit constamment accomplir ; la gloire est à ce prix. Il aspire à l’infini ; mais d’abord il faut qu’il s’enferme en des bornes précises, et la première chose qu’il apprend, est que sa force ne s’accroît qu’à la condition de se limiter elle-même. Tu n’iras pas plus loin, c’est là la première leçon donnée par le Créateur à sa créature. Frappé de cette nécessité de se circonscrire, si l’artiste s’attache exclusivement au sentiment du fini, il ne garde plus que la forme et le masque ; sous ce masque est le néant. Si, au contraire, il abandonne le réel, pour se livrer sans réserve à l’idéal, il tombe dans le vide. Entre ces deux extrémités se trouvent une foule de nuances qui constituent les différens degrés du vrai, du faux, du mauvais et du pire. Toute œuvre belle est véritablement morale, parce qu’elle exprime l’harmonie du monde et de son auteur. Elle est dans l’équilibre des choses, dans le plan de la Providence, dans les conditions de la justice éternelle, ou plutôt elle est un abrégé de l’ordre général.

Il suit encore de là que les arts ne sont point, comme on le répète souvent, des objets de caprice et de fantaisie, qu’ils ont, au contraire, plus de réalité qu’aucune des occupations du monde. En effet, je tiens pour réel tout ce qui est vrai, pour chimérique tout ce qui est faux. Le positif est probablement, dans votre opinion, ce qui ne défaille point, ce qui ne périt pas ; et, à ce titre, je ne connais rien de moins chimérique que l’immortel, ni rien de plus positif que l’éternel. Mais l’immortel, ce grand mot, est-il fait pour cette créature que l’on appelle l’homme ? Oui, messieurs, il est fait pour lui, et c’est à cela