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ther, inspiré du Saint-Esprit, eût attaqué et détruit le règne de la superstition[1]. »

C’est un exemple étrange et bien peu propre à guérir de la croyance à la fatalité que celui de cet électeur, qualifié par l’histoire du nom de sage, qui bâtit une église dédiée à tous les saints, qui la remplit de leurs reliques, et qui, trois ans après, inaugure, sous le nom de réforme, la révolte contre les images et la destruction de tout culte extérieur !

III. — PREMIERS RAPPORTS ENTRE MÉLANCTHON ET LUTHER.

Au commencement, ce fut moins Luther qui parut un homme extraordinaire à Mélancthon que Mélancthon à Luther. Ce dernier semblait alors embarrassé de la hardiesse de ses propositions contre les indulgences, et il avait consenti à ne pas continuer la guerre, si les défenseurs des indulgences se taisaient. Sa situation était critique. Il savait l’empereur Maximilien d’accord avec le pape, et il avait sujet de craindre que son seul protecteur en Allemagne, l’électeur de Saxe, quoique déjà gagné à ses idées, ne fût pas assez déterminé pour le défendre contre les menaces impériales concertées avec les excommunications romaines. Ses inquiétudes étaient si vives, qu’il eut un moment la pensée de s’exiler pour ne pas éprouver jusqu’au bout la protection de l’électeur, ou pour ne pas la lui rendre périlleuse. Mélancthon ne le vit donc pas tout d’abord dans tout son éclat, et ce saisissement dont parle Bossuet ne fut pas soudain. Luther n’avait encore secoué ni ses vœux, ni le pape, et il n’était pas assuré de sa vie. Celui que Mélancthon devait appeler notre Achille, n’était encore qu’un moine un peu effrayé du bruit qu’il avait fait.

Au contraire, Mélancthon arrivait à Wittemberg, désigné par Reuchlin, annoncé au monde savant par Érasme, appelé partout où il n’était pas, envié partout où il avait été. Érasme lui-même n’avait pas fait lire à l’Allemagne des pages plus naturelles et plus élégantes que les essais de cet enfant. Mélancthon avait toute l’ardeur des premières luttes et toute la confiance des premiers succès. Lui aussi avait entrepris une réforme, celle de l’enseignement, sans laquelle la réforme religieuse eût avorté, et il était précédé à Wittemberg par la réputation d’érudit et d’écrivain, beaucoup moins commune alors en Allemagne que celle de théologien.

Le saisissement fut donc du côté de Luther. Les documens ne per-

  1. Discours sur la fondation de l’académie de Wittemberg.