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MÉLANCTHON.

des partis, qui les envenimèrent de leurs propres haines en s’y associant. Mais il y avait eu de bons jours, des jours d’intimité, et en grand nombre, et il est touchant de lire, dans un discours d’adieu adressé par le vieux George Major aux élèves et aux maîtres de l’académie, un passage où il remercie Dieu de lui avoir donné de vivre dans la familiarité de ces deux grands hommes et de les avoir souvent entendus converser sur la doctrine et les grandes affaires. C’est dans ces jours-là que Luther, parlant de ce qui arriverait après sa mort, et des effets de cet orgueil particulier à la réforme, dont il ne se souvenait pas assez qu’il était père, disait à Mélancthon : « Les clameurs des ambitieux, et cet aveugle désir de gloire et de domination dans l’église, troubleront et détruiront plus de choses en un mois que toi et moi n’en avons élevé en dix ans à force de sueurs. »

Ces entretiens, où Luther et Mélancthon se traitaient comme une génération meilleure qui allait emporter dans la tombe toute la bonne foi et toutes les vertus de la nouvelle cause, n’avait point d’éclat au dehors. Ceux qui étaient admis à y prendre part les gardaient dans leur cœur, comme George Major, pour s’en souvenir avec émotion sur la fin de leurs jours et en nourrir leurs dernières pensées. Il est juste que Bossuet ne parle que des dissentimens, et qu’il offre en holocauste à son église, une et universelle depuis dix-sept cents ans, les pleurs de Mélancthon, ne pouvant ni obéir ni résister à Luther ; mais il appartient aux hommes de notre temps, pour lesquels il n’y a plus ni vainqueurs ni vaincus dans deux camps également chrétiens, de compter les jours de concorde où deux grands esprits, qui connaissaient mutuellement leurs faiblesses et le parti qu’on en tirait au dehors, oubliaient par où ils différaient pour se confondre dans un dévouement commun à une cause qu’ils jugeaient meilleure et qu’ils aimaient mieux qu’eux-mêmes.

C’est ce que Mélancthon dut se rappeler quand il apprit la mort de Luther, d’autant plus que leurs dernières relations avaient été amicales, et que la mort qui semble s’étendre jusqu’aux défauts de l’homme et aux rancunes qu’ils ont soulevées, laisse survivre les belles qualités avec la douce influence qui en est demeurée. Les défauts meurent, parce qu’ils sont de l’homme ; les belles qualités subsistent, parce qu’elles sont de Dieu.

Mélancthon fut le premier, à Wittemberg, qui apprit la mort de Luther. La nouvelle lui en arriva comme il allait monter dans sa chaire. Oppressé par la douleur, il ne put que s’écrier : « Notre père,