Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
REVUE DES DEUX MONDES.

Sabinus était allé, sans sa femme, rejoindre le duc Albert ; il écrivit à Mélancthon des lettres violentes, où il demandait qu’on la fît partir, malgré des couches imminentes, avec ses filles. Mélancthon promit de les lui conduire lui-même, sauf la plus jeune des filles, qu’il suppliait Sabinus de laisser auprès de sa grand’mère, « qui, dit-il, n’a pas voulu s’en séparer. » Sur ce dernier point, Sabinus eut le mérite de céder. Les tristes époux se rejoignirent à Beltzig, et l’entrevue fut assez amicale. Mais, à peine Mélancthon parti, Sabinus renvoya une servante qui avait élevé sa femme dès le berceau, et l’avait soignée dans toutes ses maladies. Je lis une lettre où Mélancthon, de retour à Wittemberg, s’occupe de la remplacer, et cherche une Saxonne, dans la pensée qu’elle sera plus attachée à sa fille qu’une domestique de la Marche de Brandebourg.

S’il faut en croire Camérarius, les amis des deux côtés, en abondant dans le sens de celui qu’ils favorisaient, n’avaient pas peu contribué à envenimer ces querelles domestiques. Après la séparation, les relations redevinrent plus faciles ; et, à moins que Camérarius n’ait mis quelque amour-propre à croire que la paix à laquelle il avait travaillé était rétablie, il paraît que Sabinus, plus satisfait du côté des honneurs et de l’argent, se serait adouci, et que les quatre années qui s’écoulèrent jusqu’à la mort d’Anna auraient été sans orages. Cependant je vois une lettre d’Anna à sa mère où elle lui parle de dettes de son mari, et la prie de n’en rien dire à son père. Il était donc resté une cause de difficultés domestiques, et non pas la moins grave, les embarras d’argent.

XIII. — MORT DE LUTHER — MÉLANCTHON DEVIENT MALGRÉ LUI LE CHEF RELIGIEUX DE LA RÉFORME EN ALLEMAGNE.

La mort de Luther, arrivée le 15 février 1546, fit cesser toutes les disputes intérieures. La gêne entre Mélancthon et lui était si notoire, qu’il ne manqua pas de calomniateurs qui accusèrent Mélancthon de s’être réjoui de sa mort. J’aime mieux croire les témoignages plus nombreux qui parlent de la douleur qu’il en ressentit. Ils avaient vécu pendant vingt-huit ans dans une liaison que les différences de caractère avaient rendue difficile et orageuse, mais qu’avait soutenue, contre les dangers des premiers mouvemens et les excitations d’autrui, une estime inaltérable, et, du côté de Mélancthon, beaucoup d’humilité véritable et de dévouement à la cause commune. Si ces dissentimens ont laissé plus de traces, c’est qu’ils furent la proie