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MÉLANCTHON.

cha personne de s’en emparer, et il ne fit que continuer à défendre les scrupules de sa conscience contre les attaques ouvertes qui succédèrent aux sourds mécontentemens et aux demi-désaveux de Luther.

Ces attaques étaient inévitables. Le parti sentait le besoin d’un chef. Il fallait un homme qui eût l’autorité et les lumières de Mélancthon, et en même temps la passion et cet orgueil bilieux dont parle Bayle, qui fait les chefs actifs et dévoués. C’est ce besoin d’un chef qui fit accueillir successivement par les impatiens du parti toutes sortes de brouillons, dont aucun n’avait la taille, quoique tous eussent la prétention d’un premier rôle. Toutefois Mélancthon les gênait, à cause de sa grande renommée, de la confession et de l’apologie, qui étaient si évidemment marquées de son esprit, et parce qu’il avait été le premier et le plus illustre coopérateur de Luther. De là tant de calomnies qui le poursuivirent jusqu’à la mort, et auxquelles il répondait mollement ou s’abstenait de répondre, n’étant point sujet à cette nécessité d’un chef de parti qui lui commande de ne laisser jamais à ses adversaires l’avantage ni de la violence ni du dernier mot.

L’histoire en serait monotone, et je ne dois pas la raconter dans tous ses détails. Quoiqu’il n’y ait rien de plus beau que le spectacle d’un esprit supérieur qui ne veut que reconnaître et posséder la vérité, sans en rechercher les profits ni en redouter les périls, ce n’est cependant pas là le héros des imaginations populaires, ni le rôle le plus intéressant dans le drame de l’histoire. Nous aimons mieux ceux qui ont éprouvé nos passions, bonnes et mauvaises, et les ont agrandies en mettant à leur service de grandes facultés et de grandes lumières. Nous préférons à celui qui passe sa vie à retirer sa conscience en lui, et à la tenir intacte, comme pour un gage de salut futur, celui qui la mêle à nos erreurs, et la risque au milieu de nos emportemens et de nos incertitudes. Nous voulons des héros faits à notre image, et qui nous donnent quelque avantage sur eux, en retour de l’admiration que nous leur portons. Nos saints de prédilection sont ceux qui ont eu beaucoup à expier.

Nisard.
(La fin à un prochain numéro.)