Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
UNE RUELLE POÉTIQUE.

mortels. Elle jouissait de tous : on ne dit pas que, comme Mme de La Fayette, elle se soit singulièrement attachée à aucun. Elle semblait leur dire, au milieu des fleurs qu’elle en recevait, comme à l’abbé de Lavau :

Que vous donner donc en leur place ?
Un simple bonjour ? c’est trop peu ;
Mon cœur ? c’est un peu trop, quoique sa saison passe.

Des noms graves s’y mêlaient, et sous un reflet très radouci. Elle a écrit à Mascaron une épître badine datée des bords même du Lignon. Elle cultiva précieusement Fléchier, qui le lui rendit ; Fléchier, caractère noble, esprit galant, qui n’a d’autre tort que d’avoir été trop comparé par les rhéteurs à Bossuet, qu’il fallait seulement (à part son éclair sur Turenne) rapprocher de Bussy, de Pellisson, de Bouhours, et dont le portrait par lui-même est bien la plus jolie pièce sortie de la littérature Rambouillet. Ce n’est pas à Mme Des Houlières, mais à sa fille, qu’il l’adressa. Vivant dans ses diocèses, à Lavaur, à Nîmes, c’est-à-dire en province, il regrettait quelque peu le monde de Paris et les belles compagnies lettrées ; il était d’autant mieux resté sur le premier goût de sa jeunesse. Il correspondait à ses loisirs avec Mme Des Houlières, qui se plaignait quelquefois en vers de ses involontaires négligences :

Damon, que vous êtes peu tendre !

Elle le traite comme un sage du portique, et le menace d’appeler l’amour au secours de l’amitié :

Un sage être amoureux ! Qu’est-ce qu’on en dirait ?

Fléchier lui envoyait en offrande, pour l’apaiser, du miel de Narbonne[1].

Dans ses meilleurs et ses plus poétiques momens, Mme Des Houlières a fait de jolis airs : c’est ainsi qu’elle appelle un simple couplet, une idée tendre, fugitive, un sentiment rapide qui nous arrive comme à travers un son de vieux luth ou de clavecin. Nos pères aimaient cette émotion suffisante, vive, non prolongée ; Bertaut a des couplets

  1. Ils furent tous les deux élus membres de l’Académie des Ricovrati de Padoue : Charles Patin, fils de Guy Patin, et qui résidait à Padoue même, fut comme le négociateur de ces brevets. Elle fut aussi de l’académie d’Arles. À propos de derniers rondeaux, j’en sais un sur Arles, moins académique que gaulois, et qui remonte tout-à-fait pour le ton à l’école bourguignonne de La Monnoie, autre ami de Mme Des Houlières. C’est une allusion au calidus juventâ consule Planco d’Horace. Il faut se