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GOETHE.

d’études sont fécondes, on dirait que la nature ne sait pas résister à ses souveraines investigations. « Je laisse, disait-il un jour, je laisse les objets agir paisiblement sur moi ; ensuite j’observe cette action et m’empresse de la rendre avec fidélité. Voilà tout le secret de ce que les hommes sont convenus d’appeler le don du génie. » Excellente recette, en effet ! mais n’admirez-vous pas avec quelle bonhomie, voisine du persifflage, Goethe la donne ? Voilà tout son procédé, libre qui veut de s’en servir ; il aspire, il respire ; quant au travail intérieur, il s’accomplit sans gêne, sans effort, presqu’à son insu ; demandez à l’eau des fleuves pourquoi elle est bleue ou verte, et comment elle fait pour se teindre d’azur ou de pourpre, et l’eau des fleuves vous répondra : Je passe sous le firmament, voilà tout.

L’activité de cet homme embrasse toutes les directions de la science humaine. Il mène de front l’astronomie, la minéralogie, l’histoire naturelle, la poésie, la critique et le droit. Pas un instant, dans cette vie, qui ne soit donné à la pensée. Goethe tient son cerveau comme on ferait d’un palais de marbre ; il veille à ce que l’air circule, la lumière se répande, et, si le moindre échec survient, il le répare de façon que jamais la ruine n’arrive. Aux heures de loisir, la fantaisie se marie dans son cerveau à la science : hyménée sublime d’où naissent, comme autant d’Euphorions merveilleux, toutes ces hypothèses dont il sème les champs ténébreux de la métaphysique. Tantôt vous le trouvez occupé d’un granit antédiluvien, tantôt d’une monnaie antique, et cherchant dans les traits de quelque grand personnage historique le secret de ses actes. Il observe, il contemple, il s’étudie à surprendre la nature sur le fait, et le moindre objet lui devient, en ce sens, d’un prix inestimable.

Quiconque désirait se faire bien venir de Goethe n’avait qu’à lui rapporter de ses voyages quelque morceau curieux d’histoire naturelle. La mâchoire d’un ours marin ou d’un castor, la dent d’un lion, la corne roulée en spirale d’un chamois ou d’un bouc, toute chose qui s’éloignait, ne fût-ce qu’en partie, de la classification actuelle, suffisait pour le rendre heureux et le tenir des semaines entières en contemplation, en émoi. C’était alors comme s’il eût reçu la lettre d’un ami retenu dans quelque contrée lointaine, et dans la joie de son cœur il faisait part à tous de cette lettre dont il comprenait le sens mystérieux. « Il arrive souvent, disait-il un jour en pareille occasion, que la nature nous raconte certains de ses secrets contre son gré ; toute chose est écrite quelque part, il s’agit seulement de la trouver ; par malheur nous la cherchons souvent où elle n’est pas. De là l’ob-