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MÉLANCTHON.

Ce portrait de Jean de Eck ne ressemble guère à celui que Mosellanus fait de Luther dans le même récit. « Il est, dit-il, d’une taille moyenne, d’un corps grêle, tellement épuisé par les études et les soucis, qu’en le regardant de très près, on pourrait compter ses os. Il est dans l’âge mûr. Sa voix est perçante et claire. Admirable par sa doctrine et la connaissance qu’il a de l’Écriture, dont il pourrait compter tous les versets, par une grande richesse de pensée et d’expression, il laisse à regretter un certain manque de jugement et de méthode. Civil et facile dans les relations ; rien du stoïcien, rien de sourcilleux ; toujours homme et à toute heure ; dans les réunions, jovial et aimant les plaisanteries ; vif et plein d’assurance, la joie sur un visage fleuri, malgré les atroces menaces de ses adversaires, il est visible qu’un homme n’entreprend pas de si grandes choses sans la protection des dieux. » Ces deux portraits, faits dans le temps même de la dispute de Leipsick, par un homme qui n’était point encore engagé dans la doctrine de Luther, ne sont-ils pas ceux de deux adversaires dont l’un doit vaincre et l’autre succomber ?

Mélancthon, qui avait accompagné Luther à ce colloque, n’y joua pas un premier rôle ; mais il fut loin, quoiqu’il le dise quelque part, d’y être un personnage muet. Ne pouvant combattre de sa personne, il assistait ses amis, soit en leur découvrant les piéges de la logique de Jean de Eck, soit en leur fournissant des citations à opposer aux siennes. Il aida surtout Carlostadt, qu’une voix étouffée et sans accent, une mémoire défaillante, une extrême irritation, rendaient plus vulnérable. Il lui soufflait de vive voix, ou lui passait des argumens par écrit avec si peu de précaution, que Jean de Eck s’en aperçut et lui cria : « Tais-toi, Philippe ; occupe-toi de tes études, et ne me trouble pas. » Une lettre que Mélancthon écrivit à Œcolampade sur ce colloque lui attira une vive réponse de Jean de Eck. Il répliqua. Ce fut le premier gage qu’il donna aux nouvelles doctrines.

V. — MÉLANCTHON S’ENGAGE DANS LE PARTI DE LUTHER.

Il revint à Wittemberg entièrement conquis par Luther. Non-seulement il s’associa à ses travaux, mais il les fit valoir et les expliqua par des préfaces. Il publia ses sermons, se jeta dans ses querelles, et, comme il arrive aux esprits modérés qui viennent de perdre leur indépendance et se sont donnés à un maître violent, il se montra lui-même injurieux et passionné dans des réponses pseudonymes