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ment des lettres en prose. Desperiers adopte donc la forme vulgaire de correspondance qu’on lui a prescrite, mais il prend plaisir à prouver qu’elle ne fait que gêner son allure naturelle, et que les vers lui arrivent sans effort, même quand il ne les cherche point. On peut la copier sous la forme rhythmique, sans que le style y perde rien de sa souplesse et de son abandon. Ajouterai-je que cet abandon excède quelquefois les bornes de la bienséance requise entre un valet de chambre et sa maîtresse ? Honny soit qui mal y pense.

Desperiers a laissé peu de vers, mais ceux qui nous restent lui assignent une place honorable parmi les poètes de son temps, tout près de Clément Marot et de Mellin de Saint-Gelais. Ce qui le distingue comme eux, c’est la pureté d’un langage qui semble anticiper, par quelque étrange prévision, sur une époque bien postérieure. Il est évident que Ronsard faillit corrompre tout-à-fait la langue en essayant de l’enrichir. En acquérant sous sa plume, hélas ! trop savante, je ne sais quelle pompe verbale peu compatible avec son esprit, elle perdit ce charme de simplesse et de nature qui ne fut retrouvé que par La Fontaine et Molière. La Fontaine et Molière ne désavoueraient peut-être pas ces vers de Desperiers, dont le tour et la pensée ont été reproduits si souvent dès-lors, mais qui avaient du temps de Desperiers toute la fraîcheur de leur sujet :

… Vous donc, jeunes fillettes,
Cueillez bientôt les roses vermeillettes
À la rosée, avant que le temps vienne
Les dessécher : et tandis vous souvienne
Que cette vie, à la mort exposée,
Se passe ainsi que roses ou rosée.

Le volume est terminé par une espèce de post-face de Jean de Tournes, qui est entièrement hors-d’œuvre, mais qui contient d’excellentes idées sur la question de contrefaçon, si débattue aujourd’hui, et une apostille de cet illustre imprimeur, dans laquelle il exprime l’espoir de recouvrer incessamment d’autres ouvrages du poète. Cette seconde partie n’a jamais paru, et la première, qui n’a pas été réimprimée, est d’une grande rareté, comme tous les ouvrages de Desperiers en édition originale. Il ne faut cependant pas juger de sa valeur par le prix exorbitant de 272 francs qu’elle vient d’atteindre à la vente des livres de M. de Pixérécourt. L’exemplaire acquis à ce taux hyperbolique, doit plus de moitié de sa fortune aux armoiries du comte d’Hoym, dont les plats de sa couverture étaient décorés. Il est permis de douter que le nom et les armes des grands