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MÉLANCTHON.

tandis qu’il ne croyait et qu’il ne voulait être que pédagogue, se défendant de tout autre titre avec la modestie chrétienne, il réformait toutes les parties de l’enseignement public. Il faisait, pour la philosophie proprement dite, pour l’enseignement des langues, pour la jurisprudence, pour la médecine, pour les sciences physiques, ce que Luther avait fait pour la théologie : il les séparait de cette fausse science qui, dans l’ignorance où l’on était de la véritable, était née du souvenir vague et obscur qui en était demeuré, et avait fini par s’y substituer et en usurper le nom.

Avant lui, la scolastique était partout. J’entends par là ce mélange grossier de toutes les sciences les plus distinctes et ce raffinement inoui qui retenait dans la spéculation stérile celles que, plus tard, la méthode devait mêler à la vie pratique. La philosophie, par exemple, était confondue avec la religion, ou plutôt c’était un amalgame de la tradition corrompue d’Aristote avec la tradition non moins corrompue du christianisme. De là l’indignation de Luther, et, dans le commencement, celle de Mélancthon contre Aristote, comme s’il eût été complice de cette confusion. Et de là, par contre-coup, l’attachement des scolastiques, dont cette confusion favorisait l’ignorance et la sophisterie, pour ce même Aristote, qui leur était presque plus Dieu que Jésus-Christ. Le moyen-âge avait désappris les livres, mais il avait retenu les grands noms ; et son respect pour Aristote était d’autant plus superstitieux que, ne pouvant le connaître par ses écrits, il l’avait fait à son image. Toutes les vanités et toutes les ignorances étaient intéressées à la perpétuité de son règne.

L’espèce de science qui s’enseignait généralement dans les écoles, sous le nom de dialectique, consistait en commentaires des diverses parties de l’Organum d’Aristote, défigurées et mutilées dans des traductions latines. Les professeurs de dialectique, ne sachant point les langues originales, et n’étant point exercés à écrire, ajoutaient leur propre obscurité à toutes celles de la matière, et se contentaient d’étonner leurs auditeurs par des artifices où toutes les forces du raisonnement étaient employées à surprendre et à égarer la raison. Le prédécesseur de Mélancthon à Wittemberg, un certain Tartaretus, passait, dit Vitus Winshemius, pour un dieu[1], tant il avait poussé loin l’art d’embarrasser les questions et de les résoudre par des moyens surprenans. On qualifiait les plus habiles en ce genre d’irréfragables, de très illuminés, d’angéliques, de séraphiques ; les éloges étant, comme il arrive, d’autant plus exagérés que la science était moins

  1. Discours prononcé à l’académie de Wittemberg, après la mort de Melanchthon.