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de la physique, de l’astronomie, des mathématiques, de la géographie, matières sur lesquelles il était allé fort au-delà du savoir de son temps. Si la diversité de ses travaux, et surtout l’application de chaque jour que lui demanda la théologie, ne lui laissèrent pas le temps d’inventer dans ces diverses sciences, il y mit du moins la méthode, c’est-à-dire la parole qui féconde le chaos. Les hommes exercés en chacune de ces sciences trouveraient sans doute bien des erreurs dans ce qu’il en a écrit ; et si les médecins l’admiraient pour avoir attaqué l’empirisme, les astronomes pourraient sourire de son penchant pour l’astrologie judiciaire ; mais tous lui reconnaîtraient le même mérite qui est d’avoir compris la dignité de leur science et de leur avoir montré le vrai chemin. Qu’en même temps qu’il rendait au monde moderne ce service si décisif, l’imitation, l’imperfection de la science qui se trompait sur les faits acquis et qui se cherchait elle-même à la lumière de la méthode retrouvée, qu’une imagination vive dans un corps languissant, l’aient quelquefois retenu dans le chemin battu, en quoi sa gloire d’avoir montré le nouveau en est-elle diminuée ? La force de l’esprit humain est la même à toutes les époques : c’est l’emploi et la méthode seulement qui font les grands siècles et les siècles sans gloire. Dieu n’abaisse pas certaines générations au-dessous du niveau qu’il a marqué à l’homme, et ce qu’on dit en morale, que le mal coûte autant d’efforts que le bien, peut se dire des choses de l’esprit : l’erreur n’en demande guère moins que la vérité. Gorgias n’est pas de beaucoup inférieur à Socrate par la subtilité de son esprit : ce qui fait la différence, c’est que Socrate ne se servait du sien que comme d’un instrument pour découvrir la vérité, et le ramenait toujours vers sa conscience, comme au foyer où il puisait ses forces, au lieu que Gorgias faisait de son esprit la vérité même, et manquait de conscience. Si quelqu’un d’autorité eût dit à Tartaretus, ce dieu de l’équivoque et des ambages : Portez cette subtilité dans l’étude des monumens, cherchez la doctrine aristotélique dans Aristote, et dans cette doctrine le sens pratique ; au lieu d’un nom oublié, il eût peut-être laissé un nom durable.

Si les savans peuvent trouver, dans les écrits scientifiques de Mélancthon, des illusions parmi beaucoup de vues justes et fécondes, les lettres peuvent accepter sans restriction ses théories littéraires. C’est la tradition et le grand goût. J’oppose ce grand goût à cette recherche puérile d’une sorte de perfection dans l’art d’écrire, indépendante du but pour lequel on écrit, du caractère et des mœurs de l’écrivain. C’est ce petit goût qui, dans les pensées, s’attache plus à celles qui ne sont qu’ingénieuses, qu’à celles qui sont vraies et qui