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REVUE LITTÉRAIRE.

Mézélie n’apparaît distincte que vers la fin du premier volume. Sa mère, Mme Louise d’Effanges, est une femme riche, heureuse ; elle a deux filles enfans, un mari qui s’occupe peu d’elle, il est vrai, mais qui la laisse maîtresse et paisible dans son intérieur. Nous assistons d’abord à cette vie calme, pure, monotone, vraie ; un affreux malheur vient la rompre. M. d’Effanges a fait de mauvaises affaires ; des spéculations l’ont ruiné. Une intrigue qu’il avait nouée avec l’amie intime de sa femme, se déclare au moment même, et il disparaît en enlevant la coupable égarée. Louise et ses deux filles, pour échapper à la misère, sont recueillies par deux parentes de son mari, deux vieilles filles qui habitent Avignon. On change de scène ; la vie rétrécie, égoïste, avare, de ces deux personnes, vient faire contraste à l’existence parisienne opulente et comblée que nous quittons. Après deux années de souffrance étouffée, Mme d’Effanges apprend, par un ami de Marseille, que son mari a refait une espèce de fortune à la Vera-Cruz. La gêne insupportable de sa condition, l’intérêt de ses enfans, la pensée d’un devoir, lui inspirent le courage de l’aller rejoindre, et l’on débarque bientôt à la Nouvelle-Espagne avec elle. Mais son mari ne se trouvait plus à la Vera-Cruz ; il est parti pour l’intérieur du pays. Pauvre femme isolée, avec ses enfans encore en bas-âge, il lui faut s’aventurer dans cette contrée inconnue. Elle y meurt en route, et ses enfans, recueillis par le vieux curé d’Acayucan, élevés par sa sœur dona Pepa, deviennent, après quelques années, deux belles jeunes filles : l’une des deux est Mézélie. On a fait bien du chemin déjà, mais il n’a point paru long, tant le récit a été facile. Les personnages qu’on a rencontrés et qu’on a laissés derrière, les lieux qu’on a traversés et qui ont été décrits en passant, ont paru tout naturels et simples. Mme Reybaud ne s’appesantit pas trop au détail, bien qu’elle fasse voir les choses suffisamment. La peinture des deux jeunes filles dans la maison du curé, au sein d’un paysage grandiose, est surtout pleine de fraîcheur. Le roman de Mézélie commence, à proprement parler, ici : nous le laissons intact au lecteur qui nous en saura gré. Comme conseil à l’auteur, s’il nous était permis de lui en donner, nous voudrions seulement qu’il songeât (sans rien perdre surtout de cette aisance animée qui fait sa grace) à concentrer un peu plus parfois son intérêt, son action. Tout romancier, dans les œuvres qu’il produit, a une double part, l’une d’invention et l’autre de souvenir ; c’est en insistant principalement sur celle-ci, c’est-à-dire sur la réalité, telle qu’elle l’a dû voir, que Mme Reybaud imprimera aux scènes et aux personnages, qu’elle gouverne si bien, un caractère plus approfondi et d’un effet plus sûr. Qu’elle se consulte elle-même, j’ose croire que dans plusieurs de ses excellentes nouvelles il y avait un fonds de vérité précise, une circonstance connue qu’elle serrait de près. C’est ainsi qu’au milieu de beaucoup d’œuvres aimables et attachantes qu’on aura dues à sa plume, elle pourra venir à en atteindre quelqu’une de celles qu’on relit et qui durent.