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gories morales d’Azz-Eddin-Elmocaddessi qui sont connues sous le titre de : les Oiseaux et les Fleurs. Depuis, M. de Tassy semble avoir concentré ses études sur un idiome spécial et bien peu connu encore en Europe, je veux dire l’idiome des Hindous. La traduction des œuvres du poète Wali et des Aventures de Kamrûp, dont l’intelligence fut aidée par la publication d’une grammaire, avaient été ses premiers travaux dans cette voie nouvelle ; aujourd’hui une histoire étendue de la littérature hindoui et hindoustani vient compléter ces différens essais et ajouter aux notions jusque-là si vagues et si peu déterminées que nous avions sur ce point.

Vers le XIe siècle, il s’est opéré dans la langue de l’Inde un mouvement tout-à-fait analogue à celui que l’on retrouve en France après le démembrement de l’empire de Charlemagne. L’idiome sacré des Védas fut remplacé par des idiomes nouveaux, comme la langue romane elle-même l’avait été par la langue des troubadours et la langue des trouvères. L’influence des conquêtes substitua à l’ancien langage de l’Inde, au nord, le dialecte urdû qui procédait du persan, et, au sud, le dialecte dakhni, né de l’occupation musulmane. De là un double développement linguistique, qui répond assez bien à nos littératures d’oil et d’oc, et dont il est important de recueillir et d’indiquer les monumens. Le célèbre indianiste Wilson avait déjà attiré l’attention sur ces productions et ces écrivains, dont M. Garcin de Tassy donne en ce moment l’histoire. La langue hindoustani prend d’ailleurs chaque jour une nouvelle importance, et, à l’heure qu’il est, son emploi dans l’Inde est presque général ; elle a remplacé le persan dans les tribunaux comme dans les documens officiels. Par malheur (et M. Garcin de Tassy me paraît glisser un peu légèrement sur un point qui diminue sans aucun doute l’importance de son travail), les ouvrages originaux n’abondent pas dans l’hindoustani, et c’est trop souvent au persan, au sanscrit, à l’arabe, que les écrivains de cet idiome demandent leurs inspirations. L’imitation est donc, d’abord, le caractère de la littérature hindoustani ; cette langue brille surtout par une manière tempérée et naturelle, et qui se tient aussi loin de l’enflure persane que de la fermeté un peu nue du sanscrit. Toutefois l’étude de ces productions est loin d’être sans profit pour l’histoire poétique et philosophique de l’esprit humain. Cette littérature a une saveur propre, une simplicité gracieuse et ornée, qui n’est point sans charme, à en juger du moins par les traductions de M. Garcin de Tassy. Romans, traités philosophiques, histoires, presque tout était écrit en vers, et ce qu’on rencontre le plus souvent, ce sont les Divân, espèces de recueils d’odes appelées Gazal et écrites sur une même rime, odes que l’on sait exister également en persan et en turc. En général, la poésie hindoustani a pour principal objet de populariser les doctrines les plus élevées de la théodicée et les hautes spéculations métaphysiques. Dans ce but, les allégories philosophiques abondent, et quand le poète, avec cette imagination orientale qui cherche les images dans ce que la nature offre de plus gracieux, dans l’arome suave des fleurs, dans l’épanouissement délicat des plantes les plus charmantes à l’œil, quand le poète, disons-nous, montre l’union de l’homme avec Dieu en des