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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/492

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avec la fumée qui s’en échappe. Une cloche est suspendue à un des côtés de la chapelle. Vous ne devineriez jamais à quel usage elle est destinée : elle sert, à l’heure où un mortel suppliant brûle le papier sacré, à avertir le dieu, qui pourrait bien être occupé dans ce moment-là, et ne pas entendre la prière qui lui est adressée.

Nous quittâmes le Bacchus chinois, et nous traversâmes sur des ponts plusieurs cours qu’on a creusées, et qui sont couvertes d’une couche d’eau verdâtre et croupissante. Les Chinois aiment particulièrement cette teinte verdâtre ; ils ont grand soin que rien ne vienne rompre l’uniformité de ce tapis, qui était loin de me donner, à moi Européen, des idées de propreté et de salubrité. Au milieu de ces flaques d’eau, on a placé des rochers artificiels d’un travail parfait. En les regardant, je pensai aux ridicules imitations de rochers qui nous coûtent si cher dans nos maisons de campagne ; ceux que j’avais sous les yeux auraient certainement excité l’envie des amateurs de ces joujoux pittoresques. Toute la façade du bâtiment que nous avions devant nous est décorée de belles sculptures qui nous arrêtèrent un instant. Le petit pont sur lequel nous étions nous conduisit à la cuisine du temple : c’est en même temps la chapelle du dieu de l’art culinaire. Le dieu est vraiment là dans son temple, et semble présider aux travaux ; quelques plats vides étaient placés devant lui, comme offrande. Une inscription, placée à l’entrée de la cuisine, défend de fumer dans cette enceinte, sans doute afin de ne pas donner mauvais goût aux mets exquis dont se nourrissent les bonzes, et dont je parlerai tout à l’heure. À quelques pas de la cuisine est le réfectoire. Nous y arrivâmes justement dans le moment le plus intéressant de la journée ; nous y trouvâmes environ cent cinquante bonzes assis à une trentaine de tables rangées parallèlement et divisées en nombre égal par un espace vide. La nourriture de ces pauvres moines était loin d’être appétissante ; devant chacun d’eux était une grande tasse pleine de riz, et une seconde remplie d’une espèce de légume ressemblant assez à des épinards. Un des vœux des bonzes est de ne jamais manger de viande. Au moment où nous entrâmes, le supérieur récitait d’une voix grave une espèce de benedicite qui dura environ dix minutes ; après quoi, un second coup de cloche donna le signal de l’attaque. Les bonzes ne se firent pas prier, et se mirent cordialement à l’œuvre ; les deux petits bâtons d’ivoire dont ils se servent pour manger me parurent fonctionner avec beaucoup d’activité. Tous ces bonzes sont vêtus de longues capotes grises, dont le capuchon retombe sur leurs épaules ; un instant j’aurais pu me croire au milieu d’un couvent de capucins ; ils gardaient tous le plus profond silence, et c’est à peine si notre arrivée excita leur attention. Dans l’intervalle qui sépare les deux rangées de tables est celle du supérieur ; ce personnage n’assistait point au repas. Au-dessus de la table destinée au supérieur, on lit cette inscription : Séjour des pensées tranquilles. À la gauche est une autre inscription, que M. Hunter me traduisit ainsi : Dans les dix pays (c’est-à-dire dans le monde entier), il y a des coutumes différentes ; il faut savoir s’y conformer. Ceci me parut ressembler un peu à un avis au lecteur. Au fond de la salle est un banc pour les con-