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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/560

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REVUE DES DEUX MONDES.

théologien, diplomate, poète, eût été soldat. Il avait alors vingt-quatre ans. Lui-même racontait cette bataille dans une lettre dont il ne reste que quelques lignes. « Dans la bataille de Campaldino, le parti gibelin fut presque entièrement mort et défait. Je m’y trouvais, novice dans les armes ; j’y eus grande crainte, et, sur la fin, grande allégresse, à cause des diverses chances de la bataille. » Il ne faut pas voir dans cette phrase l’aveu d’un manque de courage, qui ne pouvait se trouver dans une ame trempée comme celle d’Alighieri. La seule peur qu’il eut, c’est que la bataille ne fût perdue. En effet, les Florentins parurent d’abord battus : la cavalerie arétine fit plier leur infanterie ; mais ce premier avantage de l’ennemi le perdit en divisant ses forces. Ce sont là les vicissitudes de la bataille auxquelles Dante fait allusion, et qui excitèrent d’abord son inquiétude, puis causèrent son allégresse.

À cette courte campagne nous devons peut-être un des morceaux les plus admirables et les plus célèbres de la Divine Comédie. Ce fut alors que Dante fit amitié avec Bernardino della Polenta, frère de cette Françoise de Ravenne que le lieu de sa mort a fait appeler à tort Françoise de Rimini. On peut croire que son amitié pour le frère a rendu le poète encore plus sensible aux infortunes de la sœur.

À côté du champ de bataille de Campaldino s’élève la jolie ville de Poppi, dont le château a été bâti en 1230 par le père de cet Arnolfe qui éleva quelques années plus tard le palais vieux de Florence. Dans ce château, on montre la chambre à coucher de la belle et sage Gualdrade, que Dante appelle la buona Gualdrada[1], et sur laquelle Villani rapporte l’anecdote suivante, qui ne manque ni de naïveté, ni de grace, et que m’a racontée avec beaucoup de simplicité un bon curé de la Pieve di Romena, qui connaissait très bien ce qui se rapporte à Dante dans ces localités. « Othon IV ayant vu la belle Gualdrada, fille de messer Bellincione Berti, demanda qui elle était ; Bellincione répondit qu’elle était fille de quelqu’un qui répondait à l’empereur de la lui faire embrasser. Mais la jeune fille ayant entendu ces paroles, rougit, se leva, et dit : « Nul homme vivant ne m’embrassera, s’il n’est mon mari. »

Dante n’a donné qu’un vers à l’Alvernia, « cet âpre rocher qui sépare les sources de l’Arno de la source du Tibre : »

Nel credo sasso tra Tevere ed Arno[2].
  1. Inf., c. XVI, 37.
  2. Parad., c. II, 106.