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VOYAGE DANTESQUE.

entré, cria miséricorde. Alors s’avança l’évêque avec les prêtres ; Buona-Guida se prosterna aux pieds de l’évêque, et tout le peuple se mit à genoux. L’évêque prit Buona-Guida par les mains, et le releva de terre, puis l’embrassa et le baisa, et tous les citoyens firent de même, pleins de charité et d’amour, oubliant toutes les injures passées, et Buona-Guida les donna tous à la vierge Marie. » Telles sont les humbles et pieuses préparations de la bataille, mais l’orgueil des Siennois reparaît dans le triomphe. Ils prirent l’âne d’une certaine Ussilia, revendeuse de légumes, qui, dit la chronique, avait reçu après la victoire la soumission de trente prisonniers ; à la queue de cet âne, ils attachèrent l’étendard florentin, pour qu’il fût traîné dans la poussière, ainsi que la grosse cloche appelée Martinella, que les Florentins avaient coutume de sonner avant d’entrer en campagne pour avertir leurs ennemis de se tenir sur leurs gardes.

On ne peut quitter Sienne sans s’être fait montrer la demeure de la Pia, cette femme sur la destinée de laquelle Dante a jeté un mystérieux intérêt.

Une ombre s’approche et lui dit[1] : « Quand tu seras retourné dans le monde, et que tu te seras reposé de ce long voyage, qu’il te souvienne de moi, je suis la Pia. Sienne m’a faite, la Maremme m’a défaite. Il le sait, celui-là qui avait placé à mon doigt l’anneau de mariage. »

Quelle était cette femme malheureuse et peut-être coupable ? Les commentateurs disent qu’elle était de la famille de Tolomei, illustre à Sienne. Parmi les différentes versions de son histoire, il en est une vraiment terrible. L’époux outragé aurait emmené sa compagne dans un château isolé au milieu de la Maremme de Sienne, et là il se serait enfermé avec la victime, attendant sa vengeance de l’atmosphère empoisonnée de cette solitude. Respirant avec elle l’air qui la tuait, il l’aurait vue lentement dépérir. Ce funèbre tête-à-tête l’eût toujours trouvé impassible jusqu’à ce que, suivant l’expression de Dante, la Maremme eût défait celle qu’il avait aimée. Cette lugubre histoire pourrait bien n’avoir d’autre fondement que l’énigme des vers de Dante et l’effroi dont cette énigme aurait frappé les imaginations contemporaines.

Quoi qu’il en soit, on ne peut se défendre d’un frémissement involontaire, quand, en vous montrant un joli petit palais en brique,

  1. Purg., c. V, 130.