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Cimabuë oppose à son rival, sans trop de désavantage, quelques figures de saints pleines de fierté. En somme, Assise est un musée et un sanctuaire de la peinture catholique du moyen-âge.

Je me suis fait répéter deux fois un trait de vandalisme que je n’affirme pas, et dont je mets l’exactitude sous la responsabilité du frère qui me montrait l’église. On m’avait parlé d’un enfer de Giotto où devaient se trouver quelques analogies avec celui de Dante, et je m’enquérais de cet enfer. Le frère m’affirma que les peintures avaient existé, en effet, dans l’apside de l’étage moyen, mais que, comme il manquait un purgatoire et un paradis, les pères, pour le compléter, avaient fait effacer la fresque de Giotto et peindre, par-dessus un enfer, un purgatoire et un paradis par M. Sermei.

Ce frère était, du reste, un curieux petit moine qui me racontait les miracles de saint François d’un air riant et jovial. Ce n’est pas qu’il manquât de foi ; au contraire. Ces faits miraculeux étaient, à ses yeux, des faits parfaitement réels ; ils excitaient chez lui le même sentiment qu’auraient produit des incidens bizarres dont il eût été témoin. Un enfant rit en voyant l’arc-en-ciel, il n’en doute pas pour cela.

Une nef souterraine a été ajoutée tout récemment aux deux églises superposées qui existaient déjà. Je ne connais d’autre exemple d’une église à triple étage que Saint-Martin-des-Monts, à Rome. À Assise, l’étage inférieur n’est pas, comme sur l’Esquilin, une vieille construction romaine dont le christianisme primitif s’est emparé ; c’est une construction nouvelle, qui n’a pas vingt ans. Le premier aspect de cette architecture sans caractère, qui est venue se placer sous l’architecture si caractérisée du moyen-âge, est déplaisant ; mais quand on vous apprend que le corps de saint François a été trouvé là en 1818, quand on vous fait toucher le morceau de roc qu’on a laissé subsister afin de montrer ce qu’il a fallu faire pour bâtir une église sous deux autres églises, vous vous sentez gagner d’un certain respect pour cette dernière manifestation de la puissance qui après avoir accompli tant de grandes choses a fait encore celle-ci. La persistance de ce vieil esprit vous frappe d’autant plus qu’il se produit sous des formes plus modernes. On se dit : Quoi ! le même sentiment qui a élevé les vieux murs couverts des peintures de Giotto et de Cimabuë, qui a dicté les vers de Dante, ce sentiment est assez puissant de nos jours pour creuser les montagnes et percer les rochers comme aux temps des catacombes ! Nulle architecture à ogive ou à plein cintre, vénérable par sa naïveté antique, ne m’aurait fait sentir