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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

miner par sa propre force ; tout cela pourra se traduire encore en déclamations insensées, peut-être en insurrections partielles ou en audacieux coups de main tramés dans des ventes secrètes entre une image du jeune Saint-Just et une relique du vieux Morey. Mais dans ce mélange des pacifiques doctrines américaines et des souvenirs militaires de l’empire, dans cette fantasmagorie de cerveaux échauffés dont la fièvre évoque pêle-mêle les souvenirs les plus hideux et les plus sacrés, il n’y a pas une tendance d’esprit assez rationnelle, une idée assez forte et assez vivante pour exercer au sein du pays un prosélytisme quelque peu sérieux.

Pourquoi systématiser, d’ailleurs, des pensées presque toujours contradictoires et incohérentes ? pourquoi attribuer aux doctrines ce qui n’appartient qu’aux passions ? On se dit républicain parce qu’on est mécontent de l’ordre social, parce qu’il s’élève comme une barrière contre vos cupidités, comme un obstacle devant votre hâtive ambition ; parce qu’au lieu d’y gagner laborieusement sa place, on aime mieux la surprendre par un coup de main. Mais quelque audacieux qu’on soit, quelque nombreux qu’on affecte de se dire, on ne forme pas plus une école politique en protestant contre la constitution de la société que la population des maisons de justice en s’insurgeant contre le code pénal.

Pour un pouvoir vigilant et éclairé, le démocratisme républicain ne serait pas plus redoutable comme parti que comme école, car il est aussi incapable de grouper des forces que de grouper des idées. Des hommes déclassés, des jeunes gens pour qui n’a pas encore sonné l’heure des mûres pensées, des ouvriers isolés et sans action au sein des masses laborieuses, telle est la statistique d’un parti qui, parmi ses nombreuses illusions, n’en compte pas de moins fondée que celle de sa puissance.

Ses fortes têtes ont long-temps rêvé l’opposition systématique du peuple à la bourgeoisie, des travailleurs aux oisifs, de l’atelier au comptoir, l’antagonisme prétendu du labeur manuel et de l’exploitation arbitrairement salariée. Vains efforts, paroles et théories perdues ! Où a-t-on vu une pensée insurrectionnelle jaillir spontanément du milieu des masses ouvrières, sans excitation extérieure et comme le résultat intime de leur propre condition ? Quand ont-elles cessé de comprendre l’étroite solidarité de la consommation et de la production, et de leurs intérêts personnels avec ceux des chefs du travail ? La force numérique a-t-elle refusé de reconnaître et de subir comme légitime la domination de la science et des capitaux ; les masses ont-