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REVUE. — CHRONIQUE.

sommes disposés à le croire : diffuse, étalant avec pompe de banales vérités, elle sent l’écolier. À cause de l’éloignement, le maître n’a pu la corriger.

Quelle qu’elle soit, elle suffit au seul but que très probablement la Porte s’est proposé. Elle abolit les confiscations ; elle promet une justice régulière ; elle assure que soit en hommes, soit en argent, on ne percevra plus que des impôts modérés et réguliers, que la propriété individuelle sera respectée, que tous les habitans de l’empire seront également protégés contre le pouvoir arbitraire et les violentes exactions des pachas. C’est dire aux Turcs, aux habitans de la Syrie, voire même aux Égyptiens : « Le gouvernement légitime vous promet, et fera pour vous, ce que l’usurpateur n’a pas pu ni ne peut faire. Méhémet-Ali est obligé de vous opprimer pour soudoyer ses armées, ses flottes, et réaliser les projets de son immense ambition. » C’est ainsi que les Bourbons parlaient de l’empereur, et qu’ils promettaient l’abolition des droits réunis et de la conscription. Le coup est de bonne guerre, parce que, en effet, Méhémet-Ali ne peut ni désarmer, ni ménager la bourse de ses sujets, et que, d’ailleurs, lui et ses peuples sont trop Turcs encore pour qu’il pût leur appliquer avec succès les méthodes adroites et fécondes de la finance européenne. La solennité politique et religieuse de la promulgation, et surtout la présence du corps diplomatique, ont dû frapper l’esprit des Osmanlis et des rayas. L’Europe a paru sanctionner, par la présence de ses représentans, les promesses du jeune sultan ; elle a paru dire aux habitans de l’empire : Ceci n’est pas un vain jeu, c’est un engagement solennel que la Porte a pris non-seulement vis-à-vis de ses peuples, mais vis-à-vis de l’Europe. Ayez donc foi dans ses promesses, et confiance dans l’avenir. Ce qui revient à dire : Repoussez les séductions des agens du pacha, secouez son joug, ralliez-vous autour de l’étendard sacré ; l’Europe applaudira à vos efforts, et vous en serez récompensés par une administration régulière et libérale.

Envisagée sous ce point de vue, la déclaration de Gulhané est bien autrement importante qu’elle ne le serait, si elle n’était qu’un semblant de charte turque. Bien que composée d’idées parisiennes, elle pourrait bien avoir été inspirée ailleurs qu’à Paris.

Qu’en pensera Méhémet-Ali, surtout lorsqu’il apprendra quel accueil flatteur elle a trouvé dans toutes les feuilles de l’Europe ? Se contentera-t-il d’en hausser les épaules, comme s’il ne s’agissait que d’une vaine simagrée ? Y verra-t-il une intention hostile, un fait cachant des arrière-pensées formidables ? En conclura-t-il qu’il lui convient d’accepter sans retard des conditions tolérables, ou bien qu’il lui faut redoubler d’entêtement et d’audace ? Répondra-t-il par le dédain ou à coups de canon, ou en octroyant à son tour à ses provinces des concessions libérales ?

Cette dernière guerre serait plaisante en apparence, sérieuse au fond.

On ne jette jamais impunément certaines idées aux peuples, surtout dans les temps de crise et de transition. L’Europe en a fait l’expérience, et l’expérience n’est pas achevée. L’Allemagne, la Pologne, l’Italie, loin d’oublier les pro-