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messes qu’on leur avait faites, ruminent toujours les idées qu’on leur avait jetées comme un appât. L’Orient, nous nous en réjouissons, n’oubliera pas la déclaration de Gulhané. Quelque peu orientale qu’elle soit pour la forme et pour le fond, quel qu’ait été le but du gouvernement turc, et quelque peu d’empressement qu’il montre à la faire exécuter, elle a proclamé un mot qui trouvera toujours de l’écho dans le cœur humain. Elles ont beau être accoutumées à l’adoration du pouvoir et à la politique du fatalisme, les mots de justice et d’égalité font toujours tressaillir les nations ; ils réveillent des idées, ils excitent des sentimens que nous portons avec nous, et que les institutions ne peuvent jamais oblitérer complètement. Les réformes de Sélim et de Mahmoud, le spectacle des luttes et des guerres civiles qui déchirent depuis longues années l’empire du croissant, le retentissement des grandes révolutions européennes, enfin cet esprit des temps nouveaux, qui, lorsque son jour est arrivé, pénètre partout, altère et modifie toutes choses, ont profondément remué l’Orient et l’ont préparé à de nouvelles destinées que nul ne peut deviner, mais dont l’accomplissement paraît certain.

La déclaration de Gulhané n’a été, ce nous semble, qu’un stratagème politique, qu’une ruse honnête. On n’a pas songé aux besoins moraux de la Turquie ; probablement on n’y songe pas le moins du monde. Qu’importe ? C’est presque toujours ainsi qu’agit l’homme ; il accomplit toute autre chose que ce à quoi il pense. D’ailleurs, pourquoi cet expédient ? Pourquoi l’a-t-on imaginé ? On a donc reconnu qu’il pouvait agir sur les esprits et être bon à quelque chose. C’est reconnaître que les habitans de l’empire commencent à ouvrir les yeux. En les conviant à Gulhané, on les a conviés à un spectacle, ne fût-il qu’une comédie, dont on a compris qu’ils peuvent goûter le dénouement. On ne convie pas à de pareilles fêtes des aveugles et des sourds ; ce serait du temps et des frais perdus.

En attendant, la question d’Orient ne paraît pas marcher à son terme ; loin de là, elle se complique. À supposer que le sultan et le pacha se mettent d’accord, avec ou sans l’intervention de l’Occident, reste la question plus grave encore des relations de la Porte et de l’Égypte avec les puissances européennes. Le traité d’Unkiar-Skelessi sera-t-il renouvelé ? Comment le sera-t-il ? Au profit de qui ?

Nous avons fait remarquer, en parlant d’une première tentative russe pour attirer l’Angleterre dans son alliance, que c’était là un essai qui devait se renouveler. Le cabinet russe n’abandonne pas facilement ses projets et celui-là était d’accord à la fois avec son ambition, ses sympathies et ses antipathies. Aussi n’a-t-il jamais été abandonné. Rien, au contraire, n’est omis pour gagner le cabinet de Saint-James. Ses exploits et ses envahissemens dans l’Inde ? On ferme les yeux, on en fait semblant du moins. Ses démêlés avec la Perse ? On conseille à la Perse de céder, de tout accorder. Son humeur contre Méhémet-Ali ? On la partage. Reste ce qui forme, en apparence du moins, le nœud de la question, Constantinople, l’entrée des Dardanelles. La Russie n’hésite pas.