Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/738

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
734
REVUE DES DEUX MONDES.

verser le pays, il n’y a pas de majorité possible sans eux, qu’au fond c’est avec eux que tout ministère marche et doit marcher, et qu’il ne faut pas trop s’indigner des expédiens ingénieux, des paroles adroites qu’on est forcé d’employer pour gagner quelques voix de plus. Dès-lors les 221 attendent les évènemens. Le ministère leur paraît faible ; ils ne croient pas à sa durée, ils ne s’évertueront pas pour la prolonger, mais ils espèrent qu’il pourra se modifier, se renforcer sans secousses et par des hommes qui leur inspirent confiance.

Les doctrinaires doivent tout naturellement suivre les mêmes erremens. D’un côté, ils ont une part directe aux affaires ; de l’autre, ils trouvent dans le ministère précisément cette partie du centre gauche avec laquelle ils sympathisaient le plus par leurs théories constitutionnelles et économiques, la partie avec laquelle il y avait véritable coalition.

Une opposition vive, immédiate, ne pourrait donc venir que de la réunion des oppositions extrêmes ; mais à supposer cette réunion possible, cela ferait-il une majorité d’abord et un gouvernement ensuite ?

En effet, nous ne le pensons pas. Aussi n’est-ce point une attaque directe, violente, à l’ouverture même de la session, que le ministère a, ce nous semble, à redouter. S’il n’arrive rien d’extraordinaire, on ne se rendra pas à la chambre avec le projet arrêté de le renverser sur telle question, à telle heure. Ce que le ministère doit craindre, ce sont les accidens de tribune et les éventualités de tous les jours. Il doit redouter cet imprévu qu’un ministère ne peut affronter que lorsqu’il s’appuie sur une majorité sienne et compacte. Cette majorité dévouée, il ne l’aura pas, et il nous paraît hors d’état de la conquérir ; tel qu’il est, il ne sera ni assez fort pour prévenir les échecs, ni assez docile pour s’y résigner.

Dès-lors, multiplier les questions, c’est pour lui multiplier les dangers. C’est là cependant ce qu’il paraît vouloir faire. On ne parle que des nouveaux projets de loi qu’il prépare. La législature paraît une lice où chaque ministre veut faire ses preuves et dépasser ses collègues. Si ce n’est pas de la prudence, c’est du moins du courage et du désintéressement. Au surplus, c’est ce qui devait nécessairement arriver au ministère. M. le maréchal, par les occupations de toute sa vie, est nécessairement étranger à une foule de questions d’administration, de finances, de droit. Probablement il ne s’en mêle guère et laisse chaque ministre faire à sa tête. Le président s’abstenant, les autres ministres ne peuvent pas trop retenir un de leurs collègues ; on se passe réciproquement ses fantaisies : on n’approuve pas toujours, tant s’en faut, mais on se résigne.

C’est là un piége que le ministère se tend à lui-même. Je dis le ministère, car c’est encore plus le ministère dans son ensemble que tel et tel ministre, qui est menacé de faire naufrage au milieu de tous ces écueils. Plus d’un ministre pourra se sauver et rentrer au port, tous ceux en particulier qui ne nageront pas entre deux eaux. Redisons-le, le pays est si fatigué, qu’il n’y a plus aujourd’hui avec lui qu’une bonne politique à suivre, la politique des situations nettes et du langage explicite.