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VOYAGE DANTESQUE.

Il appelle le peuple romain le peuple saint, popol santo. On conçoit qu’une pareille manière de voir dut lui rendre le séjour de Rome comme un séjour sacré. Aussi écrivit-il dans le Convito : « Je pense fermement que les pierres de ses murailles sont dignes de respect ainsi que le sol où elle est assise, plus encore qu’on ne le pense généralement. » Voilà de l’idolâtrie, et les enthousiastes les plus décidés de la ville éternelle ne sauraient aller au-delà.

Mais il ne lance pas moins de terribles anathèmes sur la corruption de cette Rome pour laquelle il professe un religieux respect. Nulle part il ne le fait avec plus d’énergie que dans le 27e chant du Paradis[1], il met dans la bouche de saint Pierre ces foudroyantes paroles : « Celui qui usurpe sur la terre ma place, oui, ma place qui est vacante aux yeux du fils de Dieu, a changé le lieu de ma sépulture[2] en un égout d’infection et de sang. » Après avoir continué sur ce ton, qui fait pâlir les habitans des sphères célestes et Béatrice elle-même, saint Pierre annonce le secours que réserve à tous les maux de l’église la sublime Providence, qui s’est servie de Scipion pour sauver la gloire de Rome, tant la liaison qu’il découvre entre les destinées de la Rome antique et celles de la Rome moderne est toujours présente à la pensée du poète chrétien.

Comment se fait-il donc que lui, qui a consigné dans son ouvrage les souvenirs de tous les lieux remarquables qu’il a visités, n’ait pas parlé des monumens romains ? Rien n’allait mieux à son génie que la poésie de leurs ruines. On regrette et on ne saurait concevoir qu’il n’y ait pas dans la Divine Comédie quelques vers d’une tristesse et d’une majesté sublimes sur la masse immense et à demi écroulée de l’amphithéâtre, sur les aqueducs qui se dressent à travers les solitudes, comme les portiques abandonnés de Palmyre. Et pourtant Dante avait contemplé la ville de Rome et la muette campagne qui l’environne. Il cite un point de vue qu’aujourd’hui encore on indique aux étrangers comme l’un des plus favorables pour embrasser d’un regard l’ensemble de la ville éternelle, le sommet de la colline appelée alors Monte-Malo[3], qui aujourd’hui, probablement par

  1. Parad., c. XXVII, 22.
  2. Le mot cimiterio, employé par Dante, a long-temps désigné une église, les premières églises étant en général établies dans les lieux consacrés par les ossemens des martyrs. L’église actuelle de Saint-Pierre est elle-même bâtie sur l’emplacement du cirque de Néron, où la tradition veut que l’apôtre ait été mis à mort, et où se trouvent encore aujourd’hui ses saintes reliques.
  3. Parad., c. XV, 109.