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naux de Rome entre le premier consulat et la dictature de César. On a dix-sept lettres de Célius à Cicéron, alors proconsul en Cilicie, et qui lui demandait de le tenir au courant ; Célius fait ramasser de toutes mains des nouvelles, il paie des gens pour cela, et Cicéron n’est pas trop content toujours des sots propos qu’ils y mêlent. Mais ce serait se faire un trop bel idéal, je le crois, des journaux de Rome que de se les représenter par les lettres de Célius ; c’est précisément parce que les journaux, qui y sont à peine indiqués en passant, ne disent pas l’indispensable, qu’il y supplée si activement près de Cicéron. Il va jusqu’à lui copier au long un sénatus-consulte, faute du Moniteur du jour apparemment. Quand on lit cette suite de lettres, on en reçoit une impression qui dément plutôt l’idée d’un service officiel et régulier par les journaux. Après tout, aux diverses époques de la république expirante ou de l’empire, dans les rares intervalles de liberté comme sous la censure des maîtres, il n’y avait à Rome que le journal en quelque sorte rudimentaire, un extrait de moniteur, de petites affiches et de gazette de tribunaux ; le vestige de l’organe, plutôt que l’organe puissant et vivant. M. Leclerc a fait comme ces curieux anatomistes qui retrouvent dans une classe d’animaux ou dans l’embryon la trace, jusque-là imperceptible, de ce qui plus tard dominera. Si M. Magnin a su montrer la persistance et faire comme l’histoire de la faculté dramatique aux époques même où il n’y a plus de théâtre ni de drame à proprement parler, M. Leclerc à son tour a pu trouver preuve de la faculté du journal chez les Romains. Cette faculté humaine, curieuse, bavarde, médisante, ironique, n’a pas dû cesser dès avant Martial jusqu’à Pasquin. Mais qu’on n’en attende alors rien de tel (M. Leclerc est le premier à le reconnaître) que cette puissance de publicité devenue une fonction sociale ; ceci est aussi essentiellement moderne que le bateau à vapeur. Le véritable Moniteur des Romains se doit chercher dans les innombrables pages de marbre et de bronze où ils ont gravé leurs lois et leurs victoires ; les journaux littéraires du temps de César sont dans les lettres de Cicéron, et les petits journaux dans les épigrammes de Catulle : ce n’était pas trop mal pour commencer. S’il y avait eu des journaux dans ce sens moderne qui nous flatte, au moment où se préparait la rupture entre César et Pompée, on aurait vu Curion soudoyer, courtiser des rédacteurs, César envoyer des articles tout faits : il y aurait eu escarmouche de plume avant Pharsale. Mais rien : le journal à Rome manqua toujours de premier Paris aussi bien que de feuilleton ; est-ce là un aïeul ?