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vait un reste de défiance ; mais je lui avais dit la vérité, je n’avais rien à cacher, que pouvais-je craindre ? Ses soupçons ne tardèrent point, d’ailleurs, à se dissiper. J’avais déjà fait partie plusieurs fois de troupes envoyées à la poursuite des prêtres réfractaires, et je connaissais toutes les précautions exigées pour ces marches de nuit à travers la campagne ; je les indiquai au commissaire, qui en sentit sur-le-champ l’importance et n’en voulut négliger aucune. Sachant l’entrée principale du château gardée par des chiens qui eussent signalé notre approche, j’avais d’abord fait prendre un sentier couvert et détourné qui devait nous conduire aux portes du jardin. J’étais insensiblement devenu un des chefs de l’expédition, et à mesure que j’y prenais plus de part, je m’y intéressais aussi davantage. J’en calculais les chances comme si j’en eusse été personnellement responsable, j’en attendais le succès avec inquiétude. J’ignorais quel en était au juste le but, mais je la savais faite dans l’intérêt de la république, et cela me suffisait. À une autre époque et pour une autre cause, j’aurais regretté d’y contribuer, je me serais inquiété peut-être de ceux que l’on allait surprendre, et désiré les trouver avertis ; mais le besoin de sauver la patrie absorbait alors toute autre préoccupation : la pitié ne venait qu’après le combat. On sacrifiait le révolté à l’intérêt général, comme on s’y sacrifiait soi-même. Les royalistes, d’ailleurs, n’étaient point seulement des adversaires politiques, c’étaient des ennemis. La guerre contre eux semblait une légitime défense, car ils l’avaient commencée partout, à la frontière et à l’intérieur. Il ne s’agissait plus d’une opinion, mais d’un sentiment, et on les haïssait moins par esprit de parti que par instinct national.

Nous arrivâmes enfin au château. Aucun bruit ne s’y faisait entendre, aucune lumière n’y brillait ; tout semblait dormir. On s’occupa d’abord de placer des sentinelles à toutes les issues. Le plus profond silence avait été recommandé, et chacun tenait ses armes serrées contre lui. Nous étions restés, le citoyen Morillon, le juge de paix et moi, à quelques pas d’une petite porte de jardin qui semblait condamnée, attendant que toutes les mesures eussent été prises, lorsque nous crûmes entendre marcher dans le fourré. Je fis signe de la main à mes compagnons, et nous nous effaçâmes derrière un angle de la muraille. Le bruit des pas se rapprochait toujours ; enfin le froissement des feuilles devint distinct, et bientôt un paysan parut à la lisière du taillis. Il regarda de tous côtés comme pour s’assurer qu’il était seul ; puis, s’avançant rapidement vers la petite porte, il se baissa