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AFFAIRES DE L’AFAGHANISTAN.

d’Hérat comme un prince d’un caractère cruel, tyrannique, avare, débauché, écrasant son peuple d’impôts et arrachant à ses sujets par la torture et tous les genres de supplices les contributions extraordinaires dont il ne cesse de grossir son trésor. Et voilà cependant le protégé de l’Angleterre, tandis que les Barekzaïs sont signalés par son gouvernement au mépris et à la haine des nations. Nous croyons Shah-Shoudjâ meilleur qu’eux tous, sans aucun doute, mais par un accident de sa nature, et nous nous en réjouissons pour les peuples qu’il est appelé à gouverner de nouveau après un exil si long et si instructif à la fois. Toutefois nous craignons, pour eux et pour lui, le retour des anciennes habitudes de despotisme, les mauvais conseils et les flatteurs. Ce qui nous rassure cependant, c’est la présence, ce sont les conseils du ministre anglais ; et d’ailleurs les Afghans, il faut en convenir, n’ont pas le droit d’être difficiles en fait de gouvernement. Ceci nous rappelle un trait d’humanité et de justice de Shah-Shoudjâ lui-même, que nous avons entendu raconter dans l’Inde, et que les gens du pays admiraient fort. Un des serviteurs intimes du shah, disait-on, ayant commis un crime qui méritait la mort, le shah, fort attaché à cet homme et résolu cependant de ne pas laisser le crime impuni, fit couper les oreilles du coupable qui, dévoué plus que jamais au maître dont la clémence avait épargné sa vie, ne voulut pas se séparer un instant de lui au milieu de ses plus cruelles infortunes. Un souverain absolu qui, pouvant faire abattre la tête, se contentait des oreilles, méritait, dans les idées de ses compatriotes, la palme de la modération et de l’indulgence. Rentrons à Kandahar avec Shah-Shoudjâ et l’envoyé du gouvernement britannique, dont la prudence, aidée des baïonnettes anglaises, a amené ce triomphe et en prépare de nouveaux.

L’entrée du roi dans l’ancienne capitale de l’empire afghan présenta le spectacle le plus imposant et le plus touchant à la fois. L’enthousiasme de la population était à son comble : les femmes se pressaient sur les balcons ; les hommes, en masse compacte, bordaient les rues de chaque côté ; les acclamations de cette foule heureuse enfin du présent, parce qu’elle était confiante dans l’avenir, retentissaient de toutes parts, « Soyez le bien-venu, fils de Timour ! vous êtes notre refuge ! Kandahar a été ruiné par les Barekzaïs ! Que votre pouvoir nous protège à jamais ! Périssent vos ennemis ! » Tels étaient les vœux et les félicitations qui accueillaient le souverain sur son passage. On jetait des fleurs sur lui et des corbeilles pleines de pain sous les pas de son cheval. Shah-Shoudjâ, après avoir traversé la