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rant la première Fronde et le siége de Paris (1649), son ascendant fut entier sur Mme de Longueville. Lorsque après l’arrestation des princes elle s’enfuit en Normandie, puis de là par mer en Hollande, d’où elle gagna Stenay, elle se déshabitua un peu de lui[1]. À son retour en France et à la reprise d’armes, on la retrouve gouvernée encore quelque temps par les avis de M. de La Rochefoucauld, qui cette fois les donne meilleurs à mesure qu’il va être plus désintéressé. Elle lui échappe enfin tout-à-fait (1652), et prête l’oreille à l’aimable duc de Nemours.

M. de Nemours plaisait surtout à Mme de Longueville en ce qu’il lui sacrifiait Mme de Châtillon.

« On a bien de la peine à rompre, quand on ne s’aime plus. » On en était à ce point de difficulté : M. de Nemours le trancha, et M. de La Rochefoucauld saisit avec joie une occasion d’être libre, en faisant l’offensé : « Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. »

Il fut donc bien aise, mais non pas sans mélange ni sans des retours amers, « La jalousie, il l’a dit, naît avec l’amour ; mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Le châtiment de ces sortes de liaisons, c’est qu’on souffre également de les porter et de les rompre. Il voulut se venger et manœuvra si bien, que Mme de Châtillon reconquit M. de Nemours sur Mme de Longueville, et qu’en veine de triomphe, elle fit encore perdre à celle-ci le cœur et la confiance du prince de Condé qu’elle s’attacha également. Entre Mme de Châtillon, M. le Prince et M. de Nemours, La Rochefoucauld, qui était l’ame de cette intrigue, s’applaudissait cruellement. Vue et blessure trois fois aigrissante pour Mme de Longueville !

À peu de temps de là, M. de Nemours fut tué en duel par M. de Beaufort, et (bizarrerie du cœur !) Mme de Longueville le pleura comme si elle l’eût encore possédé. Ses idées de pénitence suivirent de près.

M. de La Rochefoucauld fut puni tout le premier de sa vilaine action ; il reçut, au combat du faubourg Saint-Antoine, cette mousquetade qui lui perça le visage et lui fit perdre les yeux pendant quelque temps. On a cité maintes fois, et avec toutes sortes de variantes, les vers tragiques qu’il tourna et parodia à ce sujet. Ils ne

  1. « L’absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu. » (Maximes.)