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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/217

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HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

hiérarchie que dans les gouvernemens temporels, et c’est à cette flexibilité qu’il doit encore sa force. Nos pères montrèrent donc une grande justesse d’esprit, quand ils acceptèrent le gouvernement monarchique après avoir établi le principe de la souveraineté nationale, et ils ne mentirent pas à la vérité des choses. Un homme, en 1791, comprit très bien tout cela, non pas en métaphysicien, mais en politique, et il l’exprimait avec sa verve oratoire : « Je demande, disait Barnave, à celui de vous tous qui pourrait avoir conçu contre le chef du pouvoir exécutif toutes les préventions, tous les ressentimens les plus profonds et les plus animés ; je lui demande de nous dire s’il est plus irrité contre lui qu’attaché à la loi de son pays. Et remarquez que cette différence naturelle à l’homme libre, entre l’importance des lois et l’importance des hommes, que cette différence doit surtout s’établir relativement au roi, dans une monarchie libre et représentative… Vous avez fait une constitution vicieuse, ou bien celui que le hasard de la naissance vous donne ne peut pas être si important, par ses actions personnelles, au salut du gouvernement, et doit trouver dans la constitution le principe de sa conduite et l’obstacle à ses erreurs. S’il en était autrement, ce ne serait pas dans les fautes du roi que j’apercevrais le plus grand danger, ce serait dans ses grandes actions ; je ne me méfierais pas tant de ses vices que de ses vertus ; car je pourrais dire à ceux qui s’exhalent avec une telle fureur contre l’individu qui a péché, je leur dirais : — Vous seriez donc à ses pieds si vous étiez contens de lui ! » Barnave, en parlant ainsi, commentait éloquemment le Contrat social, dont la doctrine avait passé dans la constitution, et s’efforçait d’entraîner ses concitoyens dans la pratique d’une liberté possible.

Malheureusement, les idées n’ont pas la soudaine puissance d’éclairer et de désarmer les passions. Les législateurs de la révolution avaient assigné au gouvernement sa place, ses devoirs et ses droits, mais sans convaincre les esprits, et sans obtenir d’eux l’obéissance, tant à la vérité qu’à la loi. On ne songeait au gouvernement que pour le soupçonner, l’accuser et le maudire ; on ne se rappelait pas ce que Rousseau lui-même avait enseigné, que les citoyens, souverains d’un côté, sont sujets de l’autre[1] ; que le gouvernement, pour être bon, doit être relativement plus fort à mesure que le peuple est plus nombreux[2]. Alors, les hommes politiques et les masses tombèrent

  1. Contrat social, liv. III, chap. 1.
  2. Ibid.