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HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

ront à les concilier tous les deux. S’ils restituent à la nation les biens que possédait l’église, comme un dépôt et un instrument, ils ne reconnaissent pas moins que la propriété émane de la personnalité humaine, et doit être inviolable comme elle. Leur raison peut subordonner le droit individuel à l’intérêt social, mais elle le consacre par le sacrifice même qu’elle lui demande.

C’est dans l’organisation interne de la société que se manifesta la force de l’esprit nouveau ; dans cette France, partagée jusqu’alors par des coutumes, des habitudes, des préjugés si dissemblables, il créa une législation uniforme. Montesquieu demandait avec raison si la grandeur du génie ne consisterait pas à savoir dans quel cas il faut l’uniformité, et dans quel cas il faut des différences. S’il eût assisté à la révolution française, il eût reconnu que le moment était venu, pour la France, d’une grande uniformité ; elle jaillissait naturellement de la conscience sociale, comme de la pensée d’un seul homme. Les idées se trouvaient assez fécondes et assez mûres pour enfanter de nouvelles mœurs ; aussi les changemens s’opérèrent sans contrainte ni violence ; aussi l’uniformité qui s’établit en France ne fut pas, pour ainsi parler, mécanique ; mais elle fut une uniformité vivante qui devait elle-même être la cause d’une organisation forte et d’une variété nouvelle. En effet, quand une loi uniforme s’étend à propos sur un vaste empire, elle s’y enracine promptement, et ne tarde pas à produire des mœurs qui bientôt deviennent des coutumes ; c’est une autre vie qui sort d’un principe fécond. Cela se voit en France depuis cinquante ans. Les lois nouvelles et fondamentales de l’ordre politique et civil ont passé dans la pratique commune, dans les habitudes de tous, et l’uniformité de la règle s’est trouvée naturellement tempérée par les inévitables mouvemens de la liberté humaine. Voilà ce qui fonde vraiment un ordre social et le rend indestructible, parce que tout y a concouru, parce qu’aucun élément de la vie générale n’a été laissé en arrière.

Comment une rénovation aussi complète de la nation française, dans ses idées et dans sa propre constitution, ne lui eût-elle pas inspiré, à l’égard des autres peuples, des sentimens supérieurs aux anciens préjugés et à de vieilles antipathies ? L’auteur de l’Esprit des Lois, en comparant le droit des gens européen à celui de la république romaine, dit qu’en ce point il faut rendre hommage à nos temps modernes, à la raison présente, à la religion d’aujourd’hui, à notre philosophie, à nos mœurs. Le droit des gens, dont ce grand homme félicitait ainsi l’Europe, était un effet naturel des principes