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CORRESPONDANCE DE WASHINGTON.

donnant ainsi l’exemple de ce goût pour les hommes supérieurs, qui manque parfois aux hommes supérieurs eux-mêmes, de cette impartialité haute et confiante qui n’est jalouse d’aucun mérite, et qui, loin de chercher à isoler, à mutuellement opposer les influences et les talens, les rapproche au contraire, et cherche la force dans leur alliance. Il parvint à les conserver assez long-temps auprès de lui sans abdiquer dans leurs mains. Avec eux comme sans eux, il sut créer et maintenir pour lui-même une position indépendante, pour les États-Unis une politique indépendante. Il assura la liberté de son pays, et il fit sa volonté.

L’œuvre fut difficile ; l’inimitié et la défiance lui suscitèrent plus d’un obstacle ; on put croire par momens qu’il succomberait. Il n’échappa point à la plus douloureuse et à la plus commune des épreuves du pouvoir, l’injustice de l’opinion. La presse ne lui épargna aucune de ces iniquités calomnieuses auxquelles celui qui veut agir doit s’attendre sans crainte et résister sans colère, et qui ont du moins cet avantage d’imposer aux hommes d’état la double nécessité d’une volonté forte et d’une conviction profonde. Rien ne l’arrêta, et il sut tout vaincre. L’opposition la plus vive avait précédé sa réélection ; elle ne put ou n’osa pas en troubler l’unanimité. Et lorsqu’après avoir gouverné huit ans comme il avait huit ans commandé l’armée, déjà vieux et las, il déposa la puissance. On dit qu’il eût été maître de la reprendre encore, et que la nation s’était accoutumée à regarder comme indissoluble l’alliance formée entre la présidence de Washington et la liberté de l’Amérique ; mais il sentait l’heure de la retraite arrivée : l’existence la plus active et la plus animée n’avait jamais affaibli son goût passionné pour la vie domestique, pour les soins de l’agriculture. Son esprit impérieux commençait à trouver difficile de se plier aux ménagemens, aux exigences, aux sacrifices inséparables du métier de gouvernement ; sans cesser de tenir fixé sur sa patrie un œil attentif, de suivre avec une sollicitude mêlée de quelque dédain le cours des affaires publiques, il redevint ce qu’il avait été au commencement, un planteur, comme pour réaliser en tout dans sa personne le type exact de la société américaine.

Nous voilà revenu à cette idée que nous croyons avoir justifiée, d’une parfaite harmonie entre Washington et l’Amérique. Il commence, il sent, il se conduit comme elle. Le développement de ses idées, de son caractère et de sa fortune correspond au développement des mêmes choses dans la nation contemporaine. Il la représente dans tout ce qu’elle a de plus distinctif, et de meilleur, mais