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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

agréable qu’à deux heures de l’après-midi ils sont abrités du soleil qui se cache derrière les immenses montagnes auxquelles on les a adossés, de sorte que, même dans les journées les plus chaudes de l’été, on y jouit, pendant une bonne partie du jour, de la plus agréable fraîcheur. Les ouvriers arabes, qui bâtirent tant de curieux édifices sur toute cette côte, avaient sans doute présidé à la construction de l’abbaye. Le cloître du couvent est tout-à-fait moresque ; sur chacune de ses façades intérieures, de petites colonnes accouplées, en marbre blanc du pays, soutiennent des voûtes ogivales qui s’entrelacent de trois en trois, formant une sorte de broderie réticulaire d’un charmant effet. Au-dessus de la gracieuse colonnade et de ces broderies s’élèvent de hautes murailles percées sur chacune de leurs façades de petites fenêtres en ogives accouplées. La voûte de la porte principale du cloître qui fait face à la grotte, et les fenêtres des murailles à demi ruinées de son antique chapelle, sont aussi en ogives. Une chapelle plus moderne a été ajoutée, il y a un siècle et demi, aux bâtimens du couvent ; cette chapelle est dans le détestable goût de l’époque ; aujourd’hui elle est entièrement abandonnée. Le laid calvaire que l’on voit au fond de la grotte, et qui en détruit la beauté, est sans doute du même temps. Le Christ, en bois peint, sculpté d’une manière barbare et tout barbouillé de sang, est entouré de saintes femmes et d’anges également en bois peint, agenouillés dans les positions les plus ridicules. Au pied du Christ on a établi une sorte d’autel sur lequel on officiait autrefois. La voûte de cette grotte est tapissée d’énormes stalactites dont quelques morceaux, de la grosseur du corps et de plusieurs toises de longueur, semblent la queue de monstrueux reptiles dont la tête serait cachée dans les sombres anfractuosités du rocher.

Après avoir pris possession de ma cellule, je m’empressai de courir à la ville. Je me rappelais le passé, et ma curiosité était vivement excitée. Je l’avais déjà traversée que je la cherchais encore ; j’avais suivi d’étroits sentiers, construits sur les corniches du rocher, ne me doutant guère que ce fût là le grand chemin de Naples par Castellamare. J’avais descendu d’abominables escaliers, étagés dans de dégoûtans passages ; j’avais franchi des voûtes obscures, traversé une petite place, couverte d’un peuple en haillons, sur laquelle s’élevait une église, le seul objet que j’eusse remarqué dans mon excursion. Au-delà de cette place et de cette église, j’avais retrouvé les voûtes, les couloirs, les ruelles sombres et mal propres, et j’étais arrivé au fond du ravin, sans avoir aperçu une rue ou entrevu une maison digne de ce nom. Était-ce donc là tout ce qui restait de la magnifique Amalfi ? Que sont, auprès d’une semblable dégradation, cet abandon de Venise et ces solitudes de Pise dont les voyageurs nous entretiennent ? Du moins ces villes sont encore debout, et l’on peut lire sur les murailles de leurs palais l’histoire de leur ancienne splendeur. Mais que reste-t-il du passé d’Amalfi ? Rien au monde. La place où cette ville fut construite n’existe même plus qu’en partie, la mer s’en est emparée. Aussi le voyageur, en parcourant l’étroit ravin que remplit la bourgade moderne, se demande-t-il à chaque pas : Où donc, entre ces rochers, a-t-on pu bâtir une ville ? Où donc ses cinquante mille habitans trouvèrent-ils à se loger ?