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race, l’abrutissement intéressé de l’homme par l’homme, voilà ce que nous rencontrons constamment à l’origine des cités de la Grèce. Bien au contraire, le fait primitif qui préside à l’organisation de la cité romaine est un fait, non d’esclavage territorial, non d’oppression d’une race par une autre race, mais d’association. Des hommes de toute race, de toute tribu, de tout rang, se donnent la main dans un asile ; l’association d’individus devient une association de tribus, puis de nations et de races entières. L’avenir possible des états grecs était restreint et caduc, parce qu’il était fondé sur l’exclusion ; celui de Rome, par la raison contraire, fut immense en étendue, immense en durée. Le résultat de part et d’autre se rattache au fait originel par un enchaînement évident, et n’en est, en quelque façon, que la dernière conséquence logique.

Rome naquit donc affranchie des funestes nécessités qui pesaient sur les villes de la Grèce. Dans l’asile du mont Palatin vécurent, confondus sans distinction de sang, des hommes de tous les coins de l’Italie, Latins, Sabins, Étrusques, fugitifs de la grande Grèce, aventuriers de l’Ombrie ; grands et petits, libres et esclaves, bannis, meurtriers même, tous y furent admis. « On ne saurait croire, disent les historiens romains, avec quelle facilité merveilleuse s’effacèrent les dissemblances d’origine, de langage, de mœurs ; — et de ces élémens si divers, agglomérés en un seul corps, sortit le peuple romain[1]. » Une vieille tradition, probablement symbolique, racontait que pour créer en quelque sorte à cette colonie universelle un sol qui lui fût propre, une patrie qui la représentât matériellement, chaque habitant nouvellement admis dut apporter avec lui et déposer sur le comitium, dans une fosse consacrée, une poignée de sa terre natale[2]. Ainsi se forma, suivant l’expression de Denys d’Halicarnasse, « la ville commune par essence ; la cité hospitalière et civilisatrice entre toutes[3]. »

En grandissant, Rome se montra fidèle au principe de son origine ; elle chercha autour d’elle des citoyens ; elle en acquit par la paix et les traités, elle en acquit par la guerre même. On la vit importer ses vaincus comme un butin précieux, et les établir de force dans ses murailles, sur son forum, dans son sénat, avec une entière communauté de droits. Tantôt, sur un soupçon d’infidélité, elle confisque,

  1. Flor., I, 1. — Tit-Liv., I, 8.
  2. Plut., Rom., 10. — Fest., V. Mundus.
  3. Antiq., I, 89.