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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/270

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REVUE DES DEUX MONDES.

assurerait-on à cette multitude l’exercice effectif du droit de suffrage ? Quelle serait l’étendue de son vote ? Égaux en droits aux anciens citoyens, les italiens les écraseraient par le nombre, ils disposeraient de la ville et de l’empire ; Rome perdrait sa suprématie et jusqu’à sa liberté intérieure. Au contraire, restreindre le droit serait ne rien accorder ; les concessions partielles ne contentaient plus personne, et un jour ou l’autre, on le reconnaissait bien, il fallait que les inégalités disparussent.

Il était impossible de concilier tout cela, c’est-à-dire, la formation d’une grande société italienne à droit égal, avec l’individualité de Rome, à part de cette société.

Le sénat prit, dans la question, sa place habituelle d’opposition à tout ce qui menaçait d’altérer la constitution de l’état, et de diminuer sa propre autorité. Les plébéiens se jetèrent aventureusement au milieu des chances que le triomphe des Italiens pouvait présenter ; les Gracques furent en cela leurs conseillers et leurs guides. Quant aux alliés, dominés par une haine profonde contre les patriciens qu’ils rencontraient toujours devant eux, ils confondirent, dans leurs malédictions, la forme républicaine avec l’arrogante domination de leurs ennemis. Plus assurés de réussir sous le gouvernement d’un seul, ils appelèrent de tous leurs vœux une royauté, et attirèrent plus d’une fois à ce leurre les ambitieux tribuns qui s’étaient déclarés leurs patrons. Plusieurs prêtèrent l’oreille à ces dangereuses séductions ; un d’eux fut même proclamé roi dans une émeute d’alliés italiens[1]. Mais le rétablissement de la royauté fut repoussé avec force par les plébéiens eux-mêmes, que le mot effrayait plus que la chose. L’odieux attaché à ce nom depuis quatre siècles, avait passé dans les mœurs romaines, et l’on n’avait pas encore deviné que le pouvoir absolu se trouverait tout aussi à l’aise sous les titres républicains de dictateur et d’empereur.

Tibérius Gracchus engagea la lutte ; il périt de la main d’un sénateur sur les degrés du Capitole. Caius reprit la noble tâche, et rejoignit bientôt son frère. Drusus osa revêtir la robe de tribun, ensanglantée par ces grands hommes : une main inconnue vint le frapper, au milieu d’une foule d’alliés, au pied de son tribunal, dans l’exercice des fonctions sacrées de sa charge. Ces meurtres audacieux, dirigés, avoués hautement par le patriciat, épouvantèrent les plé-

  1. Flor., III, 16. — Cf. Appian., Bell. civ., I, 28 et seqq.Vell. Pat., II, 2. — Plut., Mar.