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même peuple qui comprenait les souffrances de l’Ombrien ou de l’Étrusque, ne voulut voir, en dehors de son étroite presqu’île, que des états rivaux à détruire, des villes opulentes à piller, ou des barbares qui ne méritaient pas même le nom d’hommes. Pourtant ce peuple, vers la fin du premier siècle avant notre ère, avait soumis les contrées les plus civilisées du globe ; et, malgré la dureté de son gouvernement, on doit l’avouer, à la honte de l’antiquité, il ne faisait qu’appliquer ce qui était alors le droit commun des nations.

Les territoires que la république assujettissait hors de l’Italie, étaient rangés dans trois grandes classes, sous la dénomination de provinces, pays libres ou fédérés, royaumes alliés ou amis.

Le mot de province indiquait l’état d’assujettissement absolu ; il signifiait que la république prétendait exercer, sur le sol et sur les habitans du pays, les droits illimités dérivant de la conquête[1].

Ainsi, le sol provincial appartenait, en principe, au peuple romain, qui pouvait, à sa guise, le confondre tout entier dans le domaine public romain, en dépossédant les habitans, ce qu’il faisait quelquefois ; qui pouvait aussi n’en confisquer qu’une partie et laisser aux anciens propriétaires la jouissance du reste, moyennant un impôt foncier ; c’était le cas le plus ordinaire. Alors pourtant la république ne cessait pas d’être juridiquement propriétaire du tout, les habitans restant simplement détenteurs et usufruitiers des biens qui leur étaient laissés par l’état.

La condition des hommes n’était pas moins incertaine, moins dénuée de garantie que celle du sol. La province perdait ses anciennes institutions, ses magistrats, ses tribunaux ; on lui imposait pour code une formule spéciale[2], loi discrétionnaire, rédigée ordinairement par le général vainqueur, et qui se ressentait, tantôt de l’insolence d’un triomphe facile, tantôt de la colère d’un triomphe disputé. Un arbitraire presque illimité pesait sur la vie comme sur la fortune des provinciaux. Sous le moindre prétexte d’utilité publique, on pouvait les emprisonner, les rançonner, frapper leurs villes de contributions extraordinaires. Lorsque l’Italie eut été rendue exempte d’impôt foncier et de capitation, les province durent subvenir en très grande partie à toutes les dépenses de la république : les taxes de toute nature vinrent donc fondre sur elles avec violence, et, à la suite des

  1. Provinciae appellabantur, quod populus romanus eas provicit, id est, ante vicit. (Festus.)
  2. Forma, formula, lex provinciœ.