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veilleront pour l’indépendance, car, chez les uns, naîtra le désir de la conserver, et chez les autres celui de mettre fin à leur servitude. Tu pourras les établir dans les colonies ; ainsi s’accroîtront nos forces militaires, et le peuple, captivé par des occupations honnêtes, cessera de faire le malheur public. »

« Mais, ajoute-t-il, je n’ignore pas, je ne me cache pas combien l’exécution de ce plan excitera d’emportemens et de tempêtes parmi les nobles. Ils s’écrieront avec indignation qu’on bouleverse tout, que c’est imposer l’esclavage aux anciens citoyens, que c’est transformer en royaume un pays libre, si, par le bienfait d’un seul, une multitude nombreuse parvient au droit de bourgeoisie. »

Il cite alors l’exemple de Drusus assassiné pour des projets pareils, et engage César à redoubler de soins, pour s’assurer des amis dévoués et de nombreux appuis.

Tels sont, en résumé, les conseils contenus dans ces lettres, qu’on peut regarder comme une sorte de programme du parti démocratique, donné par un de ses plus fougueux tribuns. Les lois de César semblent n’en être, sur beaucoup de points, que l’application. On y trouve clairement indiqués les trois principes que je signalais tout à l’heure : 1o établir l’unité dans l’empire ; 2o propager le droit de cité dans les provinces ; 3o atteindre l’aristocratie dans le sénat même, en renouvelant et en agrandissant cette assemblée.

Par malheur, Salluste avait trop bien vu, les innovations du dictateur irritèrent profondément la noblesse, et par-dessus tout et avant tout, l’introduction des provinciaux dans le sénat. Cet acte, en effet, était décisif ; il montrait clairement à tous les yeux la voie dans laquelle César poussait sa patrie. S’il n’eût eu que l’intention vulgaire de se faire une assemblée à sa dévotion, l’Italie ne manquait, certes, ni d’admirateurs sincères du grand homme, ni de complaisans de l’homme tout-puissant. Mais l’intrusion des races étrangères venait tout à coup changer le caractère politique du sénat ; au corps aristocratique par essence, né et grandi avec Rome, seul représentant, seul conservateur de l’esprit quiritaire, elle tendait à substituer une simple assemblée de notables : c’était le premier germe d’une représentation de tout l’empire, sur le pied d’égalité. Aucun des actes de César ne blessa donc aussi vivement que celui-ci le vieux patriotisme romain. Mais bon gré, mal gré, il fallut obéir. Il fallut que les Cornélius, les Fabius, les descendans de Tulius et de Numa, ouvrissent leurs rangs aux demi-barbares, comme on aimait à les appeler, qui venaient voter avec eux, qui parlaient devant eux de leurs droits,