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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/285

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DE LA POLITIQUE ROMAINE.

qui décidaient souvent, par leurs suffrages, des institutions de la ville. Il fallut obéir ; mais on se vengea de César et des intrus de César par des cris de colère, par des sarcasmes, par de malignes plaisanteries. Tantôt des avis affichés sur les places invitaient le peuple à ne point indiquer aux nouveaux pères conscrits le chemin du sénat ; tantôt on faisait chanter par les soldats au triomphe du dictateur : « Qu’il conduisait les Gaulois devant son char, mais pour les mener au sénat, où ils quitteraient leurs braies et prendraient le laticlave[1]. » Les paroles, les gestes, l’accent de ces étrangers fournissaient matière aux critiques les plus amères et aux plus ridicules doléances. Parce que l’accent était rude quelquefois et le langage incorrect, on s’écriait que tout était perdu, le bon goût et la belle langue latine, avec la dignité romaine[2] ; et Cicéron, homme nouveau, ne rougissait pas de se faire l’écho de pareilles puérilités. Mais tout ce courroux, toutes ces insultes n’aboutissaient qu’à resserrer encore davantage les liens qui unissaient les provinciaux à César.

Aussi, le poignard qui le frappa sembla, du même coup, avoir frappé au cœur toutes les provinces. La consternation fut universelle, et lorsqu’on sut que, par son testament, il léguait à la Sicile le droit de cité, comme un magnifique adieu qu’il envoyait en mourant aux nations conquises, la douleur n’eut plus de bornes. Dans ce brusque dénouement de tant d’espérances si vives et si tristement déçues, on crut reconnaître la main d’une fatalité ennemie. La superstition se mêla aux regrets ; chaque pays eut ses prodiges ; chaque peuple raconta ses pressentimens ; et l’apparition d’une comète, au milieu de cette disposition des esprits, vint donner en quelque sorte à toutes les illusions un droit d’incontestable réalité. Les étrangers qui se trouvaient alors à Rome (et le nombre en était immense) prirent le deuil spontanément, et firent retentir les rues et les places de lamentations prononcées dans tous les idiomes de la terre. Les Juifs se distinguèrent entre tous, dans ce cortége funèbre des peuples, par la vivacité de leur affliction : pendant plusieurs nuits de suite, ils restèrent en sentinelle près du bûcher.

Ces faits, si authentiques qu’ils soient, se refuseraient à toute explication, s’ils ne se rapportaient qu’à l’homme et au peu de bien qu’un homme, fût-il César, peut faire à l’humanité. Mais ici l’action

  1. Suet., J. Cœs., 80.
  2. Cicer., ad Papir. Poet. ; Div., IX, 15.